mercredi, 17 avril 2024 -

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Devoir de mémoire

Témoignages des victimes de la barbarie politique au Bénin




Au lendemain de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation,les détenus politiques, Séraphin Agbahoungbata, Baparapé et autres étaient montés au créneau le avril 1990 pour informer l’opinion publique les pires sévices qu’ils ont subies au .cours de leur détention respective. Vingt cinq ans après cette sortie, la compilation des divers témoignages est disponible sur http://bcassoc.free.fr/temoin00.htm

Pour la postérité,votre journal publie ici quelques extraits

LES ANCIENS DETENUS POLITIQUES DU MINISTERE DES FINANCES

Les deux et six Février 1989, dix-sept (17) agents de certaines Directions Techniques du Ministère des Finances ont été, par effet de surprise, arrêtés par une horde de militaires armés suite au débrayage observé au sein dudit ministère dans la péroide du 20 au 31 Janvier 1989.

Avec la complicité coupable des responsables syndicaux et du Comité de Défense de la Révolution, nous avons été convoyés et écroués au camp Guézo puis au camp de Ouidah où nous avons été contraints à suivre une formation dite prémilitaire et idéologique initiée par la machine répressive du PRPB pour nous dépouiller de notre "esprit contestatoire".

Deux mois durant, sous le soleil et la pluie, de jour comme de nuit, à l’aube comme au crépuscule, nous avons connu toutes les humiliations et les injures, subi contre gré des séances dites d’ordre serré comme si nous étions des recrues appelées à la carrière militaire. Coupés de nos familles sur instruction des tenants de la formation, sans aucun contact extérieur nous avons connu l’isolement et la sous-alimentation sous la coupe et la vigilance particulière du Maréchal de Logis- chef Kora Yarou et de l’Adjudant AOULOU Nicaise, apôtres zélés de la police du PRPB.

Vivant dans un état de psychose permanente où la terreur cotoie l’esprit de sollicitude et le sens humanitaire du Commandant FANDOHAN, Directeur de la formation, nos âmes se sont envolées et nos chairs au service du fusil MAS 36 et du sport tous azimuts. Certes nous n’avons pas subi la torture de Ségbana mais nous étions aussi déprimés et fatigués - élargis pour la plupart le 31 Mars 1990, nous avons été affectés, toujours sur propositions diligentes du Syndicat (Alliance SYNACEF et UNSTB), dans les provinces autres que celle de l’Atlantique-Qui à N’DALI (Borgou) qui à Bonou (Ouémé) pour y tourner les pouces à défaut de travail pour lequel nous sommes qualifiés.

Au prix de lourds sacrifices, nous avons, chacun à son nouveau poste et dans son lieu d’affectation, supporté le calvaire sans ressources et sans chaleur familiale pendant dix (10) mois. Une évaluation des préjudices moraux et matériels subis pendant et après cette odyssée relèverait seulement de calculs indicatifs tant les dégâts au niveau de chaque foyer sont énormes et difficilement chiffrables. N’ont pas de prix la désorganisation et la désagrégation du cercle familial rompu, les divorces prématurés enregistrés chez certains, les décès d’enfants dûs à l’absence de secours paternel et le choc moral à jamais incrusté dans le subconscient de chaque détenu.

Si au niveau des préjudices matériels, des intérêts communs ont été sacrifiés telles les rémunérations d’heures supplémentaires et les primes de rendemant exercice 1989 (en moyenne 150.000 à 350.000 F par tête) certains cas particuliers constituent une matière à réflexion et méritent qu’on s’y penche sérieusement. Entre autres, il s’agit de noter les frais pharmaceutiques et les frais de soins médicaux effectués pendant et après la détention sur endettement en raison des dommages corporels subis ou de maladies contractées, (cas de HOUESSINON Antoine, AWEDE Gabin), la destruction de deux hectares de récolte de maïs pour cause d’arrestation (cas de GANDOTE Camille), à la destruction matérielle de moyen de déplacement suite à un accident de circulation consécutif à l’affectation de Monsieur AWEDE Gabin.

Mais aujourd’hui grâce à l’action collective des travailleurs organisés et tout le peuple béninois, nous sommes tous revenus depuis le 15 Février 1990 à nos anciens postes et sommes désormais renforcés dans notre lutte contre l’injustice et la torture.

LISTE DES 17 PERSONNES

 DOMINGO Désiré Guy
 AWEDE Gabin
 DEGILA Sylvain
 GANDOTE Camille
 KOUDJI André
 CODO K. Mathias
 HOUNDETE Albéric
 AHIZIME Grégoire
 DOUTI Michel
 SATIGNON Boniface
 FANOUVI Nicolas
 HOUESSINON Antoine
 OKE Noëlie
 AMOUSSOU DELE Antoine
 MEHOU Paul
 ABITAN Mathias
 SEKEDE Mahouna Antoni
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GENERALITES

1- LES CONDITIONS D’ARRESTATION

Ces arrestations se sont toujours opérées dans ce régime dans une insécurité totale. Elles n’obéissaient à aucune règle et s’apparentaient aux Kidnappings.

Ceux qui en étaient chargés ne disposaient jamais de mandat d’arrêt et leur unique identité était "Nous sommes les envoyés de la présidence de la République".

Ils débarquaient à tous moments chez la victime ou dans son service et l’embarquaient manu militari après perquisition et bastonnades ou violences physiques ou morales sur les parents ou collègues de la victime qui auraient osé vouloir savoir l’objet de l’arrestation et la destination de celle-ci.

L’humiliation même devait se passer devant parents, femmes, enfants et collègues de la victime. On lui administrait sans raison des paires de giffles, des coups de chaussures rangers.

2 - LES SEANCES D’INTERROGATOIRES

L’interrogatoire de certaines victimes s’est précédée de tortures physiques et morales, de rodéos et de menaces.

C’est la mise en condition pour extorquer des aveux. Les rodéos étaient de véritables spectacles de cirque où les torédors, les militaires armés de bâtons, de chicottes, de ceinturons militaires ayant à leurs extrémités des boucles métalliques, de lanières en cuir mouillées à plusieurs branches terminées par des bouclettes en fer, se jetaient sur leur cible, le détenu politique. Sur les blessures, c’est avec brutalité qu’on verse de l’alcool ; sinon on vous menace d’y mettre du piment.

C’est horrible à voir et à vivre. On eût cru se trouver en plein Moyen Age où la question était utilisée pour arracher les aveux sous le nazisme.

Certains d’entre les victimes traînent encore des amétropies et d’autres maux d’yeux ou mentaux, des chéloïdes et même des gerçures sur le corps pour toute leur vie.

Au petit Palais, on vous force à monter les cocotiers sous des pluies de lanières. Tant pis pour vous si vous en tombiez.

Certains sont morts sous la torture : Rémi Akpokpo Glèlè, Luc Togbadja, Dian Serge Gnimadi, Adjagboni Dieudonné, etc...

3 - LES CONDITIONS DE DETENTION

C’est dans des cellules très exigües et très crasseuses que l’on est logé. Pendant parfois plus d’un mois, on n’en sortait que pour les interrogatoires. L’on se couche à même le sol et tous les besoins se faisaient selon les lieux de détention dans les boîtes, seaux ou bassines.

A Ségbana, les cellules sont soumises aux conditions climatiques : la chaleur et le froid y sont extrêmes. Les cellules en dehors des portes métalliques n’ont plus d’autres ouvertures et on devrait y vivre pendant un bon moment 24 heures sur 24, sauf le temps de toilettes et de repas.

Les visites à plusieurs lieux de détention étaient absolument interdites : PLM-Alédjo, Prison Civile de Ségbana, là où elles étaient autorisées, il n’y avait aucune garantie si bien que cela dépendait souvent du bon vouloir des autorités de ces lieux.

Les visites n’avaient été autorisées qu’en Août 1988 à la prison civile de Ségbana ouverte le 06 Novembre 1985.

En dehors du camp Séro-Kpéra de Parakou où lesdétenus ont le même service que les recrues (bouillon et autre), la prison de Cotonou et la prison de Ségbana où les détenus sont nourris à un taux journalier de 300 F CFA pour les trois repas les détenus sont à la charge de leurs parents ; déjà démunis dans les autres centres de détention.

Les correspondances connaissaient une certaine lourdeur administrative imposée à nous pour nous abattre moralement. Une lettre entre Cotonou et Ségbana pouvait faire 45 à 50 jours si elle ne disparaissait pas sans trace.

Bien que le pouvoir ait détourné les salaires et bourses, nos soins de santé et nos besoins quotidiens étaient à la charge de nos parents et amis.

Certains ont vu leurs maux s’aggraver faute de moyen pour l’achat des médicaments et/ou pour les frais de consultation. Pendant plus de 15 mois le Président de la Commission Clément ZINZINDOHOUE s’est opposé fermement aux évacuations sanitaires et refusait d’acheter des médiacaments prescrits alors que les moyens financiers ne manquaient pas à la Commission : un avion pouvait transporter de Cotonou à Parakou 2 détenus et amener trois autres le lendemain. C’était un gâchis.

Ce sont toutes ces informations que LE LIVRE BLANC se propose de mettre à la disposition du public qui ne cache pas son ardent désir d’en savoir sur ces cruautés qu’il ne voudrait pas qu’on laisse impunies.

AKPENI René

Demeurant à  : Adanhondjiga

Profession  : Cultivateur

Date d’arrestation  : 1977, 11 jours - 1979, 1 nuit - 1980, 15 jours - 1982

Date de libération  : Evasion en fin Février 1983 - clandestinité après Avril 1984.

Centre de détention  : Gendarmerie de Bohicon puis d’Abomey - Commissariat central de Cotonou.

Etant foncièrement contre l’exploitation de l’homme par l’homme, je m’étais opposé avec certains de mes copains aux agents de perception qui avaient voulu imposer les taxes sur les marchandises dans un petit marché comme celui d’Adanhondjinon. Cette action nous avait valu notre arrestation au cours de laquelle nous avons été gardés et torturés pendant onze jours à la Brigarde de Gendarmerie d’Abomey en 1977. C’était le chef de District DAGAN BAGNIME Louis qui avait ordonné les arrestations.

En 1979, au cours du recensement de la population, pour avoir demandé les intérêts que cette opération présente aux paysans, j’ai été arrêté sur l’ordre de Monsieur BIAOU, chef du District d’alors d’Agbangnizoun. Cette fois, je n’ai passé qu’une nuit à la brigarde de gendarmerie d’Agbangnizoun.

En 1980, j’ai connu ma troisième arrestation pour la simple raison que je m’étais opposé à l’expropriation des terres des gens de mon village. J’ai passé deux semaines avec mon ami Nestor AGBO dans la cellule insalubre et très étroite de la gendarmerie d’Abomey. On a été l’objet de toutes sortes de menaces possibles de la part des geoliers. Ne pouvant continuer à vivre dans cette situation, nous avons cherché les moyens de nous évader. Après l’évasion on est entré en clandestinité, où nous allons vivre en dehors de nos familles pendant neuf bons mois.

En 1982, sous prétexte que je suis subversif, l’un des membres de la Commission de Sécurité que dirigeait Monsieur AGOSSA, m’a kidnappé sur la voie de Bohicon. J’y allais pour faire des achats. Aussitôt j’ai été conduit avec ma mobylette au commissariat de Bohicon où les policiers m’avaient sérieusement maltraité à coups de lanières et de bâtons. J’ai été ensuite acheminé dans la même journée à Cotonou (au petit palais et à l’école de police) où j’ai subi un interrogatoire rude et musclé. C’est là où j’ai été à plusieurs reprises torturé par la dite commission d’AGOSSA.

Signalons que j’ai perdu plusieurs fois connaissance et j’ai été réanimé par de l’eau froide. J’ai été gardé sans contact au violon 2 du commissariat central. C’est un violon strictement célèbre par son étroitesse et l’important effectif qu’il contenait. Pendant les quatre mois que j’ai passés au violon 2, aucun de mes parents n’avait su là où j’étais enfermé.

C’est après mon évasion que ma mère apprenait que j’étais gardé au commissariat central, et ne sachant pas que je n’y étais plus, elle s’était rendu là-bas. Ce qui lui a valu son arrestation et sa détention pendant trente jours.

Après mon évasion, j’ai repris avec la vie dans la clandestinité jusqu’au 1er Aoùt 1984, date après laquelle j’ai regagné mes parents.

En 1985, les poursuites policières ne m’ont pas épargné. J’ai été obligé de reprendre ma vie de clandestinité, pour échapper à de nouvelles arrestations. C’est après l’amnistie générale du 29 Aoùt 1989 que j’ai regagné de nouveau mes parents.

Je tiens à souligner que pendant toutes ces périodes de péripéties, j’ai contracté dans les geôles insalubres des maladies de dermatose.

Ma fiancé a été obligée de m’abandonner. Tout mon projet agricole que j’avais initié a échoué. Mes parents ont beaucoup souffert.

Je n’ai pas pu récupérer ma bicyclette laissée au Commissariat de Bohicon en 1982.

AGBEFIANOU Blaise

Né vers 1964, élève.

Arrestation : 21/04/1982, puis le 26/07/1986.

Libération : 14/05/1983, puis le 30/09/1989.

Centre de détention : commissariat de Ouinlada, central de Porto-Novo, central de Cotonou, prison civile de Cotonou, commissariat de Cadjèhoun, camp militaire Guézo, camp militaire Séro-Kpéra de Parakou, prison civile de Ségbana.

J’ai été arreté et détenu deux fois par le régime barbare de Kérékou. J’ai subi des tortures physiques et morales atroces. C’est ce que je voudrais vous raconter à travers ces lignes

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PREMIERE ARRESTATION

Tout commença dans la matinée du mercredi 21 Avril 1982 dans la ville de Porto-Novo où je poursuivais mes études en classe de 1ère aux Complexes Polytechniques I et II. Ce jour là, alors que je me rendais à la DSCE avec mon cousin, contre toute attente, je fus interpelé au niveau du Commissariat de Oulinda par le nommé ADIGBE Djibé Boniface et un policier qui m’avaient obligé à me rendre immédiatement audit Commissariat.

ADIGBE Djibé Boniface était mon cohabitant. Ce matin là, il était allé me convoquer au Commissariat de Oulinda pour le prétexte que je recevais des visites dont il ne comprenait rien. Cette affaire avait conduit à l’arrestation de mon ami ZOUNON Alain qui a été surpris avec des tracts dans la même journée, puis de moi et ensuite de deux autres.

C’était donc le 21/04/82 vers 18 H qu’une voiture contenant 4 policiers dont le commissaire d’Atakè et Alain ZOUNON avait débarqué devant notre maison. Les policiers étaient armés de AKM. Après avoir demandé mon nom, ils me sonnèrent de leur montrer ma chambre. Quand je les y conduisis, ils se mirent à fouiller tout, sans plus rien dire. Quand ils eurent fini, ils n’avaient rien pris. Sans mandat d’arrêt ils m’emportèrent avec eux et je fus bientôt enfermé au commissariat central de Porto-Novo sans contact. Ce ne sera que le surlendemain que je devrais être interrogé ! J’étais accusé d’être distributeur de tracts.

A l’interrogatoire, il y avait deux policiers dont j’ignore encore les noms. C’était eux qui avaient pris en charge mon affaire. Ils étaient armés de matraques et de lanières. Leurs chaussures et leurs mains simples servaient au besoin à faire souffrir. L’interrogatoire avait commencé à 8 H et avait pris fin après 13 H. Pendant tout ce temps, j’étais obligé de rester debout et d’encaisser tous les coups. Je recevais des giffles, des coups de pieds, de matraques... et parfois, les coups étaient si violents que je n’arrivais pas à résister, je tombais. Mais il ne fallait pas que je tarde à me relever au risque d’attirer une série de coups plus foudroyants qui m’aideraient selon mes boureaux à bien me maintenir debout. Ils aimaient bien frapper aux articulations telles que celles de l’épaule, du coude, des genoux...

Ce jour là, tout mon corp était douloureux et boursoufflé, mes articulations calées. C’est à partir de ces tortures que j’ai commencé à souffrir des maux articulaires, qui me reviennent périodiquement actuellement.

Mon second interrogatoire a eu lieu plus de deux semaines après mon arrestation. Cela rassemblait un grand monde de policiers que je veux évaluer à une dizaine au moins. Au nombre de ceux-ci, étaient le commissaire central lui-même et les deux autres dont j’avais déjà parlé. J’étais emmené dans une salle où on m’avait fait coucher à plat ventre et les policiers se relayaient en me mâtant les fesses avec des matraques en bois et en caoutchouc. Pendant ce temps quelqu’un d’autre me donnait des coups de lanière sur le dos ou les molets. Comme je ne pouvais pas rester tranquille deux autres policiers étaient désignés pour bien m’adhérer au sol dans cette posture de plat ventre. Même le commissaire, à un moment donné, estimant peut-être que ses bourreux ne m’avaient pas suffisamment martyrisé, avait pris lui-même la lanière pour mieux inculquer à ses agents ses belles façons de faire souffrir les hommes. Il l’avait si bien fait que j’en avait le dos et les flancs bien zébrés.

Au commissariat central de Porto-Novo, j’étais gardé au violon, une cellule exiguë et ténébreuse et il y fait très chaud. On y distingue à peine le jour et la nuit. J’étais obligé de faire tous mes besoins à l’intérieur. La crasse roulait sous mon corps lorsque j’y passais la main. A l’intérieur de la cellule, les restes de nourritures et autres feuilles ayant servi d’emballages et qu’on autorisait pas les détenus à jeter ailleurs, pourrissaient dans un coin. Outre les émanations nauséabondes auxquelles nous nous étions familiarisées, c’était un véritable jardin de cots. Ceux- ci ne cessaient de nous envahir jusqu’au moment où mes gardiens se décidaient de nettoyer les cellules quand ils le voulaient. Peu importe pour notre santé.

De temps en temps, l’inspecteur chargé de mon affaire venait me demander si j’étais disposé à dire la vérité (ce que lui il voulait et qui était que je fasse arrêter la prétendue personne qui nous apportait les tracts). Ils (les policiers qui exprès interrogent) disent en dehors des interrogatoires ou même pendant celles-ci : "tu es jeune, tu n’as pas pitié de ton père, de ta mère que tu fais souffrir tant ! toi- même tu perds ton temps ici. Dis-nous la vérité pour cesser de faire souffrir tes parents qui attendent beaucoup de toi. Les gens te trompent. Tu ne seras rien si même ils prennent le pouvoir. Mais ils n’ont aucune force pour le prendre d’ailleurs...". Et lorsqu’on estime avoir dit tout ce qu’on savait, soit c’est des tortures abominables, soit des menaces de mort. Dans le dernier cas, on vous signifie que vous ne verrez plus jamais vos parents, que vous êtes perdus à jamais, en tout cas des choses horribles et terrifiantes. Par exemple, menace de vous brancher de l’électricité, attente de recevoir l’ordre de Kérékou pour vous fusiller, etc...

Après cette séquence, j’étais amené à Cotonou, au commissariat central. Mon état de santé s’était aggravé. Les maux articulaires persistaient. J’avais même des difficultés pour prendre appui sur mes mains quand je devais me lever les matins. Pas de soins. Je savais mieux à ce moment que chaque jour qui se levait me rapprochait plus de la tombe. Après deux mois environ passés ici, j’étais envoyé à la prison civile de Cotonou.

C’est grâce à la solidarité qui existe entre les détenus politiques que je dois le reste du temps que je passe encore sur terre. C’étaient eux qui par tous les moyens, s’étaient battus pour m’acheter tous les médicaments nécessaires. C’est le lieu de rappeler que tous autant que nous étions, Kérékou ne nous avait donné que les lugubres cellules devant nous maintenir dans les fers. Nous n’étions ni nourris, ni soignés. Tout cela était pris en compte par nous-mêmes et nos parents sans moyens.

Dans la prison, les escréments humains étaient déversés exprès tous les trois mois au plus dans la cour où nous restions dans la journée, ce qui entraînait les innombrables maladies qui faisaient rage dans l’enceinte de la prison.

Le pouvoir de Kérékou envoyait périodiquement nous interroger ; on faisait répandre des illusions sur notre libération prochaine. Ca par exemple a été répété un nombre incalculable de fois . On vous demande d’écrire des lettres de clémence à Kérékou. C’était surtout l’oeuvre du régisseur GBEDJAHOUNGBO.

Evidemment, dans la prison civile, les cellules sont non-aérées avec des effectifs plétoriques. On y dort corps contre corps, suant beaucoup surtout pendant la période de chaleur.

La plus grande douleur est l’incertitude constante de l’avenir. Le pouvoir barbare vous emprisonne sans jugement ni inculpation et on ne sait jamais, jusqu’à la dernière minute quand on vous libèrera.

C’est ainsi qu’un matin, des gens étaient arrivés me chercher avec les 3 autres de mon affaire. Nous devrions être libérés, avaient-ils dit. C’était le 12 Mai 1983.

Nous étions de nouveau gardés au commissariat central de Cotonou. Pendant 3 jours encore parce que le Ministre de l’Intérieur Michel Alladayè voudrait nous rencontrer avant notre libération et il n’avait pas le temps de nous recevoir aussitôt.

Le 14 Mai 1983, j’étais effectivement libéré sans autre forme de procès.

DEUXIEME ARRESTATION

Il est à remarquer que suite au mouvement scolaire et universitaire de 1985 et les arrestations massives qui s’en étaient suivies, j’avais cessé d’aller à l’école, de peur de me voir de nouveau arrêté.

J’étais de nouveau arrêté le 26 Juillet 1986, soupçonné d’appartenir au Parti Communiste du Dahomey (PCD).

J’étais amené au commissariat de Cadjèhoun. J’étais aussitôt accueilli par des paires de gifles et des coups de pieds tout simplement parce que les agents de police qui étaient là avaient appris que j’étais arrêté pour affaire de tracts.

Dans la nuit du 26 au 27 Juillet, j’étais soumis à des douleurs atroces (coups de pieds, de matraques, de lanières, de bâtons etc...).

J’étais en sang. Des menaces de mort étaient proférées par le commissaire adjoint de Cadjèhoun. Il avait trouvé que je partais pour ne plus jamais revenir, je devais succomber. Après ces tortures supervisées par le commissaire adjoint et deux autres policiers dont j’ignore les noms, on m’avait lié les mains derrière le dos avec du fil de nylon qui me pénétrait dans la chair. J’étais en slip. On me fit monter à bord d’un mini-bus et on me fit coucher sur les bras liés au dos. Un policier pointa le canon de son AKM sur ma gorge tout au long du parcours. Arrivé à Gbégamey, ils me firent descendre et me firent promener dans le quartier, demandant aux uns et aux autres s’ils me connaissaient. Délégués et Maires n’étaient pas du reste. Le but poursuivi en agissant ainsi était de reccueillir des informations me concernant afin d’arrêter les autres membres du PCD.

Nous avions fait deux fois le déplacement dans le quartier cette nuit mais sans succès.

Le dimanche était estimé propice. Le lendemain donc, aux environs de 9 heures trente, nous étions de nouveau dans le quartier. J’étais descendu, toujours en slip, les mains liées au dos. Une foule de curieux accourut. Un policier me chicottait avec la lanière tandis que le commissaire adjoint me giflait de temps en temps et ainsi nous passions devant les maisons emportant avec nous de nouveaux curieux. Le Maire du quartier Mifongou, demanda à l’adjoint commissaire la permission pour me donner quelques coups lui aussi. Il l’obtient. C’est alors qu’il prit sa propre courroie et se mit à me battre violemment de toutes ses forces.

Mes blessures se mirent à saigner. Bientôt la sueur perlait sur son front. Malgré mes protestations comme quoi, il n’avait pas le droit de me battre, que j’étais arrêté pour affaire politique, il redoublait d’effort jusqu’à ce qu’il plut enfin au commissaire adjoint de me taper.

Nous étions revenus au commissariat. Le lundi suivant, j’étais amené au camp Guézo (29 juillet) dans la matinée. J’étais à présent dans les mains du capitaine HOUSSOU Patrice. Dans l’après-midi, il m’emmena voir COOVI Gaston qui m’avait beaucoup menacé. Il avait dit en dernière position à Patrice de me taper à mort, si je n’acceptais pas de conduire les flics arrêter les autres membres du PCD.

Nous étions bientôt sur un terrain aménagé dans l’enceinte du camp. Une trentaine de militaires y étaient déjà. On me fit enlever mes vêtements et j’étais en slip. Les militaires, armés de bâtons, de lanières de branchages, de courroies, etc...avaient pris d’assaut tout le terrain. C’était le rendez-vous pour le rodéo. On me cria de commencer à faire les roulades-avant. Je me mis à exécuter. J’entendis encore "il faut l’accueillir." Et les coups pleuvaient sur moi ! Affaibli par les coups, je ne pouvais plus continuer les roulades. J’étais à présent sur place et tout ce qui servait à taper s’abattait sur moi. A un moment donné, ils cessèrent de me torturer. On me demanda de me lever immédiatement. Les mouvements étaient difficiles à faire, tellement tout mon corps était calé et douloureux. Je parvins tant bien que mal à me lever. On m’ordonna d’avancer vers un trou contenant des eaux de douche et autres eaux sales. Quelques coups dans le dos me forcèrent à aller plus vite et me laissèrent choir dans cette eau. Quelques minutes après et sur leur ordre, j’étais sorti de l’eau. Les coups me firent tomber aussitôt. J’offrais tantôt les bras, le dos, les flancs et même le ventre, peut-être dans le savon ou encore peut-être parce que ces moments précis , ces parties paraissaient les moins douloureuses.

Finalement, je ne sentais plus les coups. Je ne bougeais plus du tout. Pourtant Messieurs les tortionnaires se déployaient de plus belle, criant que je faisais le malin. Je n’avais plus la force de dire un mot. Ils coururent chercher du piment moulu, me saupoudrèrent tout le corp déchiqueté qu’ils frottèrent ensuite afin de bien faire pénétrer ce piment. J’avoue vraiment que je n’avais rien senti de la douleur atroce que cela pouvait donner. J’avais fait dix (10) jours de coma.

Le lendemain, je me réveillais tout enflé. Je ne pouvais pas me lever moi-même. On me levait et on me faisait coucher.

C’était dans cet état, qu’on me parlait de ma pauvre mère que j’étais supposé faire souffrir, de mon cousin qu’on alla arrêter parce qu’il m’avait tout simplement passé son vélo. Il a passé une semaine environ en détention au commissariat de Cadjèhoun et au camp Guézo. Ils sont alleés arrêter ma copine qu’ils m’ont amenée à ce moment-là en faisant du chantage :

"...Nous ne parlons plus de ton cousin que tu fais souffrir depuis. Cette fille, c’est celle que tu aimes. Tu n’as pas pitié d’elle, tu ne veux toujours rien dire pour qu’on la laisse ? "

Je leur avais répondu que c’étaient eux-seuls qui savaient ce qu’ils voulaient faire d’elle pour avoir été la chercher. Je ne leur avais jamais demandé de me l’amener et sur ce, je n’avais rien à dire en ce qui me concernait. Mais tout ce qu’ils lui feraient relèverait de leur entière responsabilité.

A ces mots ils l’empoignèrent vigoureusement et la trainèrent presque après eux en me lançant : "En tout cas elle va souffrir seulement".

J’en étais là quand le 31 juillet au matin un groupe de militaires vint me soulever pour me mettre dans une voiture pour l’aéroport où je fus embarqué pour Parakou. A Parakou, tous les jours, j’étais sous les menaces de nouveaux rodéos de la part de Zinzindohoué Clément, Alexis Babalao, Alphonse Agonkan et autres soldats.

Je me trouvais dans la hantise quotidienne de l’idée de subir à nouveau ces châtiments humains, j’étais réellement en tension. Dans une certaine mesure, c’est plus que les tortures physiques elles- mêmes.

Tout mon corps avait formé de pus qui s’éclataient quand je me couchais et cela faisait une adhésion ferme de mon corps au matelas sur lequel je me couchais. C’était toujours très pénible de s’en détacher par la suite. Chaque fois, c’était l’occasion de nouvelles douleurs, des déchirures et du sang qui coulait. En fin de compte, je n’étais plus rodé à nouveau après ma guérison. Toutefois, lorsque la femme d’un de nos camarades lui apporta à manger, les militaires l’avaient provoquée , "ce qui avait dégénéré en une bagarre entre eux et nous", nous fûmes tous conduits sur le terrain de sport dans le camp alignés en colonnes de bastonade. C’était l’ordre de Zinzindohoué Clément. Nous passions à tour de rôle, des adultes que nous étions et pères de famille pour bon nombre, nous agenouiller, après avoir enlevé nos chemises, devant nos bourreaux pour encaisser les coups de bâtons. Après cette épreuve, il fallait encore faire quelques tours de terrain de football. Nous fûmes ensuite enfermés pendant plusieurs jours, nuit et jour.

A Ségbana où les conditions de vie sont plus dures, j’ai été comme mes camarades sous le feu de l’ennemi tout le temps ; l’alimentation était de qualité défectueuse, parce que nous étions nourris à 300 FCFA par jour et par tête. Nos soins médicaux étaient laissés à la charge de nos parents et de nous-mêmes. il y avait aussi que nous y étions là pour une durée indéterminée, toute chose de nature à démoraliser et à réduire.

Les cellules sont non aérées et très surchauffées pendant la période de sécheresse. Pendant l’harmattan, le froid est insupportable, car il faut passer de pommade et se couvrir chaudement, ce qui n’était pas facile. C’est grâce à nos luttes au sein des prisons, à celles de notre peuple et des démocrates de part le monde, à celles des organisations humanitaires de défense des droits de l’homme comme Amnesty International que nous avons pu nous en sortir avec l’amnistie du 29 août, car des camarades furent assassinés.

AGBAHOUNGBATA Séraphin

Profession : Etudiant

Dates d’arrestation : 13/06/1985 ; 17/03/1985

Dates de libération : 22/06/1985 ; 03/09/1989

J’ai été deux fois victime d’arrestation arbitraire suivie de détention prolongée sans inculpation avec tortures physiques et morales.

I. Première arrestation

A) Conditions d’arrestation

Nous étions le Jeudi 13 Juin 1985. A 4 heures 15, une dizaine de soldats fortement armés et conduits par le Capitaine HOUSSOU Patrice, se sont jetés sur moi après avoir brisé ma porte avec des coups de rangers. Deux camions militaires étaient stationnés au dehors avec à bord une trentaine de militaires. Ma carte d’identité fut examinée et la maison farfouillée, c’était à Sikècodji.

 "Où se trouve ton second Wantchécon Léonard ?" cria le Capitaine.

 "Je ne sais pas ", lui répondis-je.

 "Embarquez-le ", ordonna-t-il à ses hommes, et je fus jeté dans l’un des camions pour descendre au camp Guézo.

B) Interrogatoires et tortures

La seule question était où retrouver les autres "anarcho-gauchistes". Une liste d’une vingtaine de noms m’a été remise pour que je donne des précisions sur ceux que je connais. Devant mon refus persistant, il (HOUSSOU Patrice) n’a trouvé mieux que m’appeler ses hommes pour qu’ils viennent me "redresser", ici commencent les cas de tortures.

Premier cas : j’ai été menotté par derrière debout entre deux hommes qui ont les mains vides ; à chaque réponse négative que je donne aux questions, "le connais-tu ? Où peut-on le trouver ? " correspond une paire sonore de gifle de la part des deux hommes ; après une trentaine de minutes, je n’entendais plus rien.

Deuxième cas : Sur l’ordre de HOUSSOU Patrice, mes deux tortionnaires m’ont conduit à l’extérieur de la chambre (dans une cour) et me demandaient de rouler mes mains au dos toujours menottées ; n’ayant pas bien compris, j’hésitais lorsque l’un d’entre eux me terrassa en me poussant violemment, une fois étendu par terre, ils m’ont forcé à rouler avec des coups de rangers dans le dos ; au cours du mouvement, ils me reposaient les mêmes questions (je ne pouvais plus répondre). Après quelques instants, je me suis réveillé au milieu d’une grande boue les mains déjà libres ; j’ai compris alors qu’ils avaient versé de l’eau sur mon corps. Aux environs de 8 heures 30 j’ai été enfermé dans une cellule où il y avait d’autres personnes. Je n’ai rien mangé cette journée.

Troisième cas : Le lendemain matin, on m’a conduit dans un autre bureau devant un Adjudant (c’est le même Bâtiment) qui me demandait si j’ai bien réfléchi la nuit, je lui ai affirmé que je ne connais rien de tout ce qu’ils me demandent ; à sa question de savoir si j’ai faim, je lui ai répondu oui, bizarrement il est parti amener deux paires de menottes et un soldat ventru. Il m’a menotté assis, main gauche au pied droit et pied gauche à la main droite. Je dois manger maintenant mes propres cheveux que le ventru s’est mis à arracher avec ses doigts en me les présentant. Devant mon refus de les bouffer, il n’a pas insisté, cependant il en a arraché suffisamment. J’ai été libéré le samedi 22 Juin 1985 à 19 heures 45.

II. Deuxième arrestation

A) Condition d’arrestation

Deux semaines environ après ma libération du camp Guézo, je faisais encore l’objet de poursuite policière. J’ai dû rentrer en clandestinité pour échapper à la barbarie des criminels. Le mardi 17 Mars 1987, ils sont parvenus à me coincer devant le CEMG Akpakpa Centre ; ce fut le début d’un nouveau calvaire.

B) Interrogatoire - tortures et conditions de détention

Ce jour de mon arrestation, j’ai été conduit au Commissariat Central (DSUC) de Cotonou avec quelques blessures issues de la bataille que les élèves et moi avions engagée contre les bourreaux qui sont venus m’arrêter. Je fus enfermé dans une cellule (violon N°3) après les fouilles de sécurité. Je n’avais que mon caleçon pour tout vêtement dans ce bâtiment exigu (3 mètres x 7) pour la cinquantaine régulière que nous atteignons souvent, tous détenus confondus (droit commun - politique). Dedans, nous disposons d’un vieux seau en plastique percé et sans couvercle ; cela nous sert d’urinoir et de dépotoir des matières fécales, ce qui rend l’atmosphère puante et suffocante, surtout les jours où on enferme de nouveaux détenus ayant sali leur caleçon sous les coups de matraque et à qui on refuse la moindre toilette. Pour nous coucher la nuit, nous formons deux équipes : l’une se couche de 22 heures à 3 heures du matin et se lève ; la seconde se couche de 3 heures à 7 heures 30, l’heure à la quelle nous vidons notre pot et la poubelle. Ce violon ne bénéficie d’aucune ampoule électrique et garde son aspect sombre de jour comme de nuit. La mention "sans contact" me fut appliquée rigoureusement jusqu’au refus de me laisser prendre la douche au moins pendant deux semaines, avant de commencer par bénéficier de l’indulgence de certains agents. Nous nous nourrissons grâce à un véritable humanisme révolutionnaire que nous (les détenus de chaque violon) avions su entretenir entre nous-mêmes. J’ai vécu dans ces conditions du mardi 17 Mars 1987 au 23 Décembre 1987, date à laquelle j’ai été transféré à la "Grille" dans le même commissariat (DSUC). Le jeudi 26 Mars 1987, le lieutenant DAYATHO Léon (?) l’actuel chef du district du DUC IV, me transporta en ville, menotté et encadré par deux soldats armés avec le commissaire de police BONOU Augustin (?), pour aller faire des indications ; au retour, la chasse n’ayant rien donné, les deux messieurs (DAYATHO et BONOU) m’ont soumis à une séance de bastonnade, matraques - lanières et rangers. J’ai été enfermé de nouveau dans la cellule sans soins et sans nourriture. J’avais envoyé une commission à mon amie Dossou Mireille qui, répondant à mon appel, m’avait amené à manger avec des effets de toilette : elle fut de ce fait arrêtée avec sa cousine Akpaniankou Adèle qui l’avait accompagnée ; elles furent relachées 72 heures après. J’ai été transféré au camp SERO-KPERA de Parakou le samedi 26 Mars 1988 pour être finalement libéré le 03 septembre 1989 après l’amnistie du 29 août 1989.

N.B. - J’exige la comparution et le châtiment fort exemplaire de tous les tortionnaires sans circonstance atténuante aucune. J’exige une indemnisation immédiate.

AKOUEDJINOUDE Romuald

Né vers 1959 à Houin

Elève-Professeur

(ENS - Porto-Novo)

Arrestation : 06 mars 1984

Libération : 02 août 1984

Centres de détention :

Compagnie territoriale des FSP de Porto-Novo, Camp Guézo, Commissariat de TOKPLEGBE.

En effet, dans la nuit du 5 au 6 mars 1984, j’ai été arrêté dans ma maison à 04 heures 30 du matin avec les camarades YELOME Léon, Bouraïma MALEHOSSOU et Léon ADJAKPA. Ceux-ci étaient arrêtés depuis 1979 et jetés en prison sans inculpation ni jugement.

Cinq (5) ans de détention sans jugement ni inculpation, c’est révoltant. Ces camarades se sont donné les moyens de se libérer et ils l’ont fait. J’ai été d’une façon ou d’une autre impliqué dans l’affaire.

Nous avons été arrêtés, enfermés ensemble, dans un container où nous avons subi les affres dues à cette forma d’emprisonnement.

Dans le container, les conditions de détention étaient en effet très dures. Dans la journée, il faisait excessivement chaud. Il n’y avait sur le container qu’une petite fenêtre fortement barricadée, mais juste convenable pour faire passer la nourriture et pour faire entrer un peu d’air. On y suait à grosses gouttes dans la journée. La nuit c’était le froid au vrai sens du mot.

Les premiers jours, nous nous couchions à même le sol. C’est après que nous nous sommes trouvés quelques vieux pagnes que nous avions commencé par étaler par terre pour nous coucher. Bien entendu, nous avons été jetés dans le container avec nos menottes aux poignets.

Et tout le temps que nous y avons passé, c’était en menottes. Nous avons fait vingt-et-un jours dans le container, au terme desquels, nous avons complètement dépéri et commencé par "blanchir".

Pour ne pas y mourir, pour ne pas nous faire oublier, nous avons entrepris des actions de protestations. Ce sont ces actions qui ont fini par décider les autorités d’alors (Commission Nationale Permanente d’Enquêtes, Etat-Major FSP et FDN) à nous transférer à Cotonou.

Je dois préciser qu’au moment où nous étions dans le container, il arrivait que nos gardiens nous refusaient de sortir pour faire nos besoins, alors nous devions nous servir de sachet de cellophane pour le faire dans le container, au vu et au su de tous. C’est vraiment dégradant, inhumain.

Mieux, nous n’étions pas autorisés à aller nous laver. Sitant est que vous y tenez, vos gardiens vous envoient de l’eau dans le container et vous vous lavez dans ce container qui servait en même temps de couchette.

C’est triste. Je n’aime pas trop me rappeler de ces choses-là. Mais il faut témoigner pour imposer le respect de l’homme.

Transféré à Cotonou (camp Ghézo), j’y ai été enlevé en mi-juin (je ne me rappelle Pas exactement de la date) pour lea Compagnie Républicaine d’Intervention (CRI) où j’ai subi un interrogatoire musclé d’environ deux heures 30 minutes.avec quelques séances de tortures.

Ici la torture consistait à vous immobiliser par quelques flics dont deux au moins vous tiennent les bras immobilisés dans le dos. Deux autres vous soumettent aux bastonnades, gifles, coups de tête à l’improviste contre votre tête, coups de matraque sur les parties sensibles, etc... l’objectif, ce faisant, était de vous amener soit à dénoncer des gens, soit à vous faire dire que vous appartenez au PCD à propos duquel, il y avait d’interminables questions.

C’est après cette séances d’interrogatoire et de tortures que j’ai été balancé au Commissariat de Tokplégbé où j’ai été enfermé avec la consigne stricte "sans contact".

Là, j’étais resté avec ladite consigne appliquée fermement jusqu’à l’armistie du 1er août 1989.

Qui étaient-ils, les tortionnaires ?

A PORTO-NOVO

Le principal responsable était le commandant GANHOUEGNON Prosper. C’est lui qui nous a fait enfermer dans son container. Et comme les petits soldats ne voulaient pas désobéïr à leur grand chef au risque de voir leur carrière en l’air, ils exécutaient les ordres de leur chef à la lettre.

CRI

A la CRI, c’est le fasciste et criminel LALEYE Ibitotcho, actuel ambassadeur du Bénin en URSS et autre AGOSSA qui ordonnaient les séances de tortures.

DEUXIEME ARRESTATION

J’ai été arrêté le 07 octobre 1985 à 11 heures 30 environ devant mon école (ENS-Porto-Novo). Ce fut comme un enlèvement dans la rue. Je passais quand, tout à coup, quelqu’un m’interpella par mon nom. Avant même d’avoir réalisé le danger, une nuée de gens m’envahit et me prit solidement par la taille. Un véhicule d’immatriculation nigériane s’approche précipitamment et j’y fus jeté comme un colis. Je fus immédiatement conduit au camp BIO-GUERA II où je fus en même temps enfermé dans une cellule après quelques formalités d’usage.

Vres 15 heures 30, une équipe du petit palais à Porto-Novo vient me charcher, c’était pour m’amener à Cotonou. Nous fîmes une escale au petit palais où j’ai été gardé quelques heures avant d’être conduit vers 18 heures 30 au camp GHEZO où je passai la nuit. Je n’avais depuis le matin rien mangé.

Le lendemain matin vers 7 heures 30, un véhicule R12 plaque bleue vint me chercher avec un grand empressement. Conduit à l’aéroport, je fus embarqué dans un avion militaire pour Parakou où nous arrivions vers midi. Depuis la veille, je n’avais rien mangé et j’avais très faim.

A Parakou, je fis accueilli par le lieutenant AGOKAN qui’ après quelques heures me fit enfermer dans une des cellules de l’ex-infirmerie du camp. Je fis part à AGOKAN de mes préoccupations, notamment la nécessité qu’on me trouver à manger. Pour simple réponse, il me signala qu’il avait donné des instructions dans ce sens. Curieusement, je passai la nuit à jeun.

Une fois enfermé, il était impossible de se fermer entendre sans déployer de grands moyens. C’est seulement soixante heures après mon arrestation que je pris mon premier repas.

C’est soixante-douze heures après mon arrivée à Parakou que je subis les premiers interrogatoires. Etaient présents : ZINZINDOHOUE Clément, GOMINA, BABALAO etc...

La séance s’ouvrit par des menaces et des chantages de ZINZINDOHOUE : "Vous savez, vous êtes ici parce que nos radars sont tombés sur vous.Vous êtes recherché depuis, vous le savez ... Et nous savons tout de vous. Vous avez intérêt à tout dire. Votre nom, prénom, votre pseudonyme ou nom de travail ; le nom de votre maître devant qui vous avez prêté serment, depuis quand vous êtes membre du PCD etc ..."

Et de terminer en disant : "Quand l’heure vient d’accoucher, la femme ne cache pas plus son sexe. Si vous ne parlez pas, on vous appliquera un tampon d’acide sur le sexe."

Après cette séance de mise en condition, on vous donne des papiers et bic pour aller écrire et dire tout ce que vous savez du PCD. comment vous y êtes arrivés et ce que vous y avez fait comme travail.

Toujours dans le cadre de la guerre psychologique contre le détenu que l’on veut faire parler, il arrivait qu’on organisât des séances de rodéos à d’autres devant lui.

Les séances de tortures s’organisent les nuits, les matins vers 9 heures ou 10 heures, en plein midi ou dans l’après-midi entre 16 heures, 17 heures et 20 heures.

Il s’est passé des choses effroyables : imaginez dix à quinze soldats s’acharner sur un seul et même individu, qui avec la lanière, qui avec des chicottes ou des branches d’arbres arrachées à droite et à gauche, qui encore avec des cablesd’antivol terminés à leur bout par des boucles, cela pendant près de 30 minutes et parfois jusqu’à 45 minutes. Et pendant la séance, on obligeait la victime à avncer à genoux sur des caillasses.

La victime qui s’évanouit est arrosée d’eau. On attend quelque temps, le temps qu’il revienne à la vie et la séance reprend, s’il refuse de parler. Certains ont été jetés dans l’eau boueuse pleine de matières fécales (cas de ESSOU Eustache par exemple). D’autres, évanouis sont traînés par terre du lieu de la séance de torture jusqu’au robinet pour être mouillés.

Pendant les séances, les coups n’épargnaient nul endroit : tête, yeux, couilles, dos, ventre, coups de godasses, dents enlevées (CHABI SIKA KARIM), yeux endommagés (SEKE Tikandé) etc ...

Evidemment, tout cela se faisait avec arrogance et un cynisme affichés par ZINZINDOHOUE Clément et son équipe, lui qui se plaisait à nous dire que KEREKOU lui avait accordé jusqu’à 10% de mort sur nous, lui qui se plaisait à nous appeler des "colis" qu’il recommandait ses hommes de main à aller accueillir à l’aéroport de Parakou.

Après la séance de torture, on vous passe de l’alcool immédiatement dans les blessures. C’est le soin, et cela s’arrête là.

C’est après que par vague vous êtes convoyés à Ségbana, la sinistre prison des détenus politiques. Le voyage est tout un calvaire. Dans les akmats, vous êtes parqués à plusieurs dizaines jusqu’à en avoir les jambes et pieds meurtris pendant le voyage. Vous voyagez tout bâché. Qu’importe la chaleur.

La nuit, vers quatre heures du matin, des voyages se faisaient sous l’humidité et le froid d’harmattan, parfois sans bâche. On est alors grandement exposé aux intempéries et aux risques du trajet vu l’état défectueux de la voie. A Parakou, ZINZINDOHOUE Clément ne ratait bien entendu aucune occasion pour montrer qu’il était tout puissant du camp. A la moindre chose, il soumettait les camarades, voire aux séances de basonnades.

Il pouvait lui plaire de vous couper la visite et de l’accorder à qui il voulait. A la moindre moindre protestation contre un état d’injustice, il pouvait décider de vous priver de nourriture ou menacer de vous envoyer à la prison de Ségbana.

C’est ainsi qu’après une lettre de protestation adressée par les détenus autant de Parakou et de Ségbana au procureur général du parquet populaire central le 28 juillet 1986, ZINZINDOHOUE s’était lancé dans des manoeuvres de chantage et de division des détenus. De Parakou, il envoya un groupe de détenus à Ségbana le 29 juillet 1986, d’où il prit un certain nombre qu’il ramena à Parakou.

La Commission Nationale d’Enquête et de Sécurité de l’Etat de ZINZINDIHOUE et GOMINA, dès lors se lança dans des manoeuvres de pression sue les détenus.

Objectif : les diviser, les réduire au silence en arrivant à obtenir d’eux les demandes de clémence à KEREKOU. Il était par exemple dit aux détenus de Parakou qu’en demandant pardon à KEREKOU, ils allaient être libérés et reintégrés dans leurs droits. Ceux qui refuseraient de demander pardon, passeront devant la cour criminelle d’exception qui venait alors juste d’être créée. Leurs têtes rouleraient alors par terre parce que ce sera sans pitié.

BABALAO Alexis organisa savamment la guerre psychologique en direction de Ségbana. Lui-même téléphonait directement à Ségbana pour entretenir la panique. Il arrivait aussi qu’il accorde à certains des détenus acquis à la lettre de clémence à Parakou, de téléphoner aux détenus de Ségbana pour entretenir la peur et aider à obtenir des défections.

Bien sûr, le jeu a pu marcher puisqu’à Ségbana des gens n’ont pas pu résister à cette guerre psychologique. En bref il a été institué finalement au sein des détenus une atmosphère se suspicion, de méfiance ; tout ce qui se passait était difficile, dur à vivre.

Il fallait avoir du nerf pour vivre cette atmosphère. C’était là d’autres formes de tortures, n’est-ce pas ?

A Ségbana, les visites étaient strictement interdites. Des parents étaient venus qui de Cotonou, qui de Natitingou, qui de Parakou pour voir les leurs emprisonnés. Mais ils ont été purement et simplement renvoyés. Et c’est tous émus, que vous les verrez loin en pleurs, reprendre le chemin de la maison sans vous voir. Il y a par exemple le cas de la grande soeur de Mathias FINOUDE, celui de la femme de MONSIA BONI Christophe, celui de la femme de DJAFAROU Ali.

A Ségbana, du 6 Novembre 1985, ce n’était qu’à partir de septembre 1988 que nous avions commencé par avoir des visites bien sûr à l’issue de multiples et nombreuses luttes protestaires.

A Ségbana, il n’y avait d’infirmerie que de nom. Quelques comprimés de nivaquine et d’aspirine. Les nombreux cas de maladies graves n’ont pu être évacués qu’après d’intenses luttes. Là encore les ordonnances étaient à la charge du prisonnier qui devrait faire appel à l’aide de ses parents, amis ou autres bonnes volontés. De nombreux cas étaient restés sans traitement sérieux, faute de moyens. Il n’y avait même pas de véhicule pour s’occuper de l’évacuation des cas urgents. Quand un cas de ce genre se produisait, il faillait attendre jusqu’à 40 minutes voire l’heure avant de trouver un véhicule en ville à réquisitionner. C’était très grave, la chance était avec nous.

Parlons à présent de nos cellules :

Elles sont exiguës. En période chaleur, la température atteint parfois jusqu’à 40 ou 41°C. C’est dans ces conditions que nous étions au début de notre détention enfermés, vingt quatre heures sur vingt quatre. Il n’y avait à sortir le matin que pour faire la toilette et les petits besoins.

On nous envoyait manger à l’intérieur. La situation était devenue insupportable et a conduit à notre première et vive réaction le 13 mars 1986. Plutôt mourir sous les balles des tortionnaires pour que tout le monde entier le sache que de mourir en silence dans les cellules. C’était le cri de guerre.

C’est à partir de là que nous avons commencé par conquérir progressivement quelques parcelles de liberté. Nous étions même privés de radio, de journaux ; pas même EHUZU. Les débuts étaient très difficiles et il nous fallait choisir de mourir en silence ou de nous battre et espérer gagner. Nous avons fini par gagner.

Poursuivons avec les cellules ; quand il pleut, l’eau rentre dans les cellules et mouille nos affaires. Si c’est la nuit, nous sommes obligés de nous lever, de prendre certains de nos bagages à la poitrine et de rester là debout jusqu’au matin.

Pour ce qui est de la nourriture, inutile de dire que c’était nettement minable surtout en qualité. Nous étions à francs CFA 300 par jour pour les trois repas. Au début les repas, surtout du soir, étaient pleins de sable ; difficile d’avaler une bouchée. Là encore, il fallait hausser le ton, dire non pour voir disparaître finalement le sable dont étaient remplis nos repas du soir.

Bref, notre séjour en prison était un chapelet d’angoisses, de luttes et d’espoir. Qui aurait cru que nous pourrions un jour sortir de la prison de Ségbana !

Mais le peuple est debout et ne saurait laisser la barbarie se perpétuer sur son sol. Il a fait, mais doit en faire plus. Se mobiliser de façon permanente pour se prendre en charge et empêcher toute bureaucratie d’installer de nouveau une barbarie digne des périodes moyenageuses.

Quelles sont mes exigences aux termes de cette odyssée ?

1°) Pousuivre et châtiller tous les tortionnaires et assassins des fils du peuple.

2°) Me dédommager ...

Salutaions militantes.

Profession : Ouvrier agricole

Demeurant : Abomey

Dates d’arrestation : 1977, Mai 1978, 1980, 10-10-1983, 28-6-1985

Dates de libération : 1977 : 11 jours, Mai 1978 : 3 jours, 1980 : 22jours, 1er Août 1984, 1er Avril 1989.

Centres de détention :

 Gendarmerie de Zogbodomey

- Abomey,

 Savè

 Commissariat de Cadjèhoun

 Camp Séro-Kpéra (Parakou)

 Prison civile de Ségbana.

J’ai le plaisir de porter à votre connaissance à travers ce rapport tout ce qui m’était arrivé pendant chacune de mes arrestations arbitraires sous le régime barbare de Kérékou. J’ai connu plusieurs arrestations, à savoir :

 En 1977, ayant participé à une protestation contre les taxes imposées aux petits marchands du marché d’Adanhondjigon, j’ai été arrêté sous l’égide du chef de district M. Daga Bagnimé Louis. On était sept à être arrêtés et torturés pendant 11 jours. Mais avec la pression de la population, le chef de district a été obligé de nous libérer en nous donnant raison. Il a ensuite procédé à la destitution du chef de village d’alors.

 En Mai 1978, j’ai été arrêté et enfermé à la gendarmerie de Zogbodomey pour la simple raison que j’avais élevé la voix contre la corruption flagrante des autoriés du district de Zogbodomey. J’ai fait trois jours (72 heures bien comptées) dans le violon lugubre de la Brigade.

 En 1980 et plus précisément en Février de cette année, sur convocation du chef de district M. ALENME Théodore, je m’étais rendu au bureau du district. Le chef de district dès mon arrivée a donné l’ordre de m’enfermer à la brigade de gendarmerie d’Abomey. Ceci parce que je suis contre l’expropriation des terres des populations de mon village. J’ai passé douze jours pour interrogatoire dans le violon non aéré avec mon ami Réné Akpéni. On s’était entendu pour nous évader. Ce qui fut fait. On a regagné la clandestinité. On a passé près d’un an avant de retourner en famille. Au cours de ma fuite j’ai perdu un enfant d’un an et demi faute de soutien. Dès que le chef de district eut vent de ma rentrée en famille, il a lancé des poursuites à mon encontre. C’est alors que j’étais parti à Savè et par chance j’ai été recruté dans la Société Sucrière comme ouvrier agricole.

 Le 10 octobre 1983, après que j’ai fait une intervention en présence des autorités du district de Savè, intervention qui a retracé les malversations et les faits d’exploitation des ouvriers agricoles de la Société Sucrière de Savè, le chef de district d’alors a ordonné sans tarder mon arrestation au vu et au su de tout le monde. Soulignons qu’à cette époque, nous avions cinq mois de salaires impayés. J’ai été enfermé à la brigade de Savè sous l’autorité du chef de brigade M. AIKPE Jean. J’ai fait trois semaines au violon à Savè avant d’être déporté à Abomey et confié au commissaire HOUEGBONOU, là où j’ai passé quarante cinq (45) jours. C’est après que M. Agossa Christophe est venu me chercher pour Cotonou. J’ai été gardé au commissariat central de Cotonou au violon n° 2 pendant huit (8) mois. C’est dans ce violon dépourvu de toute condition de bonne hygiène que j’ai contracté des maladies de peau. Les soins ont été possibles grâce à mes codétenus. A ma sortie le 1er Août 1984, je suis retourné pour reprendre service à la Société Sucrière de Savè mais j’ai été purement refoulé.

 En 1985, plus précisément le 28 Juin, vers 5 heures du matin sur ordre du Capitaine Dossou Irénée, une équipe de cinq gendarmes bien armés était venue encercler ma chambre au village. Ils étaient en compagnie du maire de la commune. Dès mon réveil, j’ai été saisi et ils m’ont attaché la figure et m’ont emporté manu militari pour me jeter dans leur camion comme un sac de maïs qu l’on jette dans un camion de marchandises. Dès mon arrivée à la compagnie d’Abomey, le Capitaine Dossou Irénée n’a pas attendu avant de commencer par me taper avec des batons et lanières. Il me faisait faire des mouvements impossibles. Ils m’ont torturé de 6 heures du matin jusqu’à 3 heures. Le Capitaine même en personne a l’habitude de me taper sur la tête. Il en a tapé jusqu’à me percer le crâne. Je porte jusqu’à ce jour les séquelles. Malgré les soins intenses, la partie atteinte demeure sans cheveux. Les cinq jours d’interrogatoire que j’avais passés ont été tous des jours noirs où j’ai été tout le temps torturé malgré toutes les blessures issues des premières tortures. Je suis enfermé seul dans un violon sans contact. Le jour où ma première femme était venue me voir, on m’avait sorti et cela a été une occasion pour le capitaine de me torturer à sang en sa présence. Ma femme ne pouvait pas se contenir. Le Capitaine a été sanglant ; il me demandait de laper mon propre sang qui coule sur mon corps en présence de ma femme. Le Capitaine m’avait laissé à jeûn pendant pendant 72 heures et c’était grâce au Brigadier Tossou que j’ai pu recevoir au bout du troisième jour, un peu de buillie. Et c’est le même brigadier qui a proposé qu’on m’envoie à l’hôpital mais Monsieur Dossou Irénée a opposé un refus catégorique et a ordonné de me raser la tête seulement. Le 5 Août, j’ai été transféré d’Abomey à Cotonou et enfermé au commisariat de Cadjèhoun. Le 18 Décembre 1985, j’ai été déporté au Camp Séro-Kpéra de Parakou. J’ai fait ensuite 9 mois à la prison civile de Ségbana ; j’ai vécu les mêmes conditions que tous ceux qui ont fait les cellules de ces centres de détention. Ces arrestations m’ont causé assez de dommages à savoir :

* J’ai perdu mon travail à la Société Sucrière de Savè après mon arrestation de 1983

* J’ai abandonné ma famille pour de longues périodes, ce qui a entraîné assez de problèmes et des soucis à mes parents. Ce qui a valu la mort prématurée de mon père et de ma mère.

* Une de mes femmes m’a abandonné au cours de ma détention de 1985.

* Les tortures dont j’ai été victime m’ont laissé des séquelles. En effet, j’ai souvent les maux de tête.

* Avant ma libération en Avril 1989, mon oncle qui a pris la lourde charge de mes sept enfants et ma seule femme qui me restait, a dû emprunter plus de 225.000 francs CFA pour pouvoir subvenir au minimum vital de ma petite famille. Il me revient de payer cette dette.

AFFON-AMONMI Comlan François

Demeurant à : Cotonou BP .526

Profession : administrateur Civil Rectorat Université Nationale du Bénin

Date d’arrestation : 11 Octobre 1985

Date de libération : 1er Avril 1989

Centres de détention : Camp-Guézo, Camp Séro-Kpéra, Prison Civile de Ségbana

A) DE MON ARRESTATION

J’étais arrêté le vendredi 11 Octobre 1985 vers 19 heures 45 dans mon salon à Cotonou (Mènontin-Kindonou). Ce jour-là, étaient dans ma chambre, mon grand-frère, sa femme et mes deux enfants, il y avait aussi un visiteur avec qui je causais au salon lorsqu’intervint mon arrestation.

Pendant que je discutais avec mon visiteur au salon, un homme habillé en civil, après s’être annoncé poliment à la porte, fit son entrée dans ma chambre. A peine nous a-t-il salué qu’il fit comprendre qu’il aurait besoin d’un certain François et ceci pour quelques secondes, il avait l’air pressé et pour l’écouter, il m’a fallu presser également les pas. Je n’ai pu le rattraper qu’au portail où il s’arrêta net tel celui qui se décide soudain à me parler. Dès que j’arrivais au portail, une dizaine de militaires sortirent simultanément de deux voitures garées plus loin du portail et se ruèrent sur moi. Ils firent une sorte de demi-cercle autour de moi. Tous les habitants de la maison étaient surpris et indignés mais ne pouvaient malheureusement rien. Un des militaires me dit qu’on avait besoin de moi au Commissariat pour un petit problème et qu’on me donne tout juste le temps de m’habiller. Ils me suivirent jusqu ’à ma chambre à coucher, les fusils braqués sur moi de part et d’autre. Je mis mon pantalon et ma chemise et les suivis en demandant à mon frère de veiller sur les enfants. Au moment de prendre place dans la voiture pleine et gardée par des hommes armés, je fus aussitôt propulsé à l’intérieur et la voiture démarra en trombe. De force, je fus conduit au domicile d ’un collègue de service. La voiture a repris, quelques minutes plus tard le chemin de ma maison. A quelques centaines de mètres de chez moi, la voiture s’arrêta au bord de la route. L’un des militaires me dit que j’étais membre très actif du PCD et qu’il en détenait les preuves. Poursuivant ses paroles menaçantes, il dit : "Vous avez à choisir entre la vie et la mort. Si vous choisissez la vie, vous tâcherez de dire tout ce que vous connaissez du PCD, si vous choisissez la mort, nous sommes prêts à vous la donner, on ne s’amuse pas avec nous et ne faites surtout pas le malin". Je me suis tu et brutalement, je reçus un coup de crosse sur le dos. Ce coup est suivi immédiatement des gifles et des tapes fortes et sévères. A chaque question sans réponse, ils m’assomaient plus fort. Comme je ne répondais pas du tout, ils m’ont conduit dans ma maison vers 21 heures. Ils procédèrent, menaces à l’appui, à une fouille minutieuse et systématique de mes affaires. Chaque objet était examiné et fouillé soigneusement. Après avoir fouillé mes effets qu’ils ont laissés en vrac et dans un désordre inouï, ils étaient rentrés dans ma cour-arrière d’où ils renvoyèrent mes parents. Ils avaient creusé profondément le sol qu’ils avaient fouillé scrupuleusement et très attentivement. Après avoir fouillé et remué tout le sol de l’arrière-cour, ils m’avaient embarqué vers deux heures du matin pour me déposer ensuite au Camp Ghézo. Comme je demandais à boire parce que j’avais soif et sentais aussi la faim, ils avaient fait la sourde oreille et avaient donné l’ordre à deux militaires de me conduire au poste 200. Ce qui fut fait. Le chef de poste enregistra mon nom et m’introduisit dans la cellule pleine de détenus. La lumière fut éteinte et je passais le reste de la nuit assis. J’étais fatigué et sentais des douleurs depuis la colonne vertébrale jusqu’à la tête. Ainsi commença ma nouvelle vie, celle de la prison.

B) LA VIE EN PRISON

L’itinéraire de ma vie en prison est la suivante : j’ai passé près de deux semaines au camp Ghézo. Je suis transféré à Parakou le 24 Octobre 1985. Là, j’ai fait près de cinq semaines avant d’être envoyé à Ségbana d’où je ne partirai que huit mois plus tard, c’est-à-dire au début du mois de Mai 1986 pour recevoir des soins médicaux à Parakou. C’est à Parakou que j’ai passé tout le reste de mon séjour en prison. Je soulignerai à chaque étape les points marquants et les événements importants.

1- Au Camp Ghézo à Cotonou

Du vendredi 11 Octobre au 24 Octobre 1985, j’étais resté au Camp Ghézo (poste 200) à Cotonou. Nul n’ignore le caractère insalubre et inhabitable de ce fameux poste où de très nombreux détenus sont parqués tels dans une boîte de sardine. C ’était un lieu d’insécurité et de souffrances. C’était dans cette cellule que les militaires venaient me chercher pour m’amener au Petit Palais qui est une véritable zone de terreur et d’assassinat Lorsqu’on m’amena au Petit Palais le matin à 8 heures 30, ce n’était que le soir vers 19 heures que je revenais fatigué et complètement abattu par la faim. Au Petit Palais, j’étais soumis à de longs interrogatoires sur les activités du PCD. A chaque interrogatoire, C’étaient des menaces, des bastonnades et des punitions de tout genre et de toute forme. Les menaces seules m’affolaient, me déroutaient et me démoralisaient profondément.

Lorsque vous entendez, voyez et subissez ces tortures, il y avait de quoi être troublé et paniqué à l’extrême. Ces tortures morales, physiques et psychiques intelligemment orchestrées pour m’extirper des déclarations et des aveux de toute nature, ces tortures, dis-je, m’ont rendu psychologiquement malade. De nuit comme de jour, en sommeil ou en éveil, il m’arrive de crier et d’avoir le sentiment et la sensation de subir encore les mêmes tortures. C’est une maladie inquiétante dont je s’offre. En dehors de ces tortures, j’ai subi des humiliations ignobles dont le souvenir me révolte et me démoralise encore plus. Comme si ces tortures et ces humiliations ne leur suffisaient pas, des gradés passés maîtres tortionnaires ont organisé une séance dite de confrontation avec un camarade de même service que moi arrêté la même nuit du 11 Octobre 1985. Cette confrontation était un prétexte pour nous soumettre à un dur "rodéo". J’étais battu et maltraité et c’était malheureusement à cette occasion que j’ai reçu successivement des coups sévères de chaussures militaires dans les côtes droites. Ce jour-là, je n’ai pas eu le courage de demander ni consultation ni soin.

Ce n’était qu’à Parakou que j ’ai pu recevoir, une dizaine de jours plus tard, quelques soins (massages journaliers, piqûres de pénicilline, comprimés d ’aspirine et de nivaquine). A Parakou, j’avais demandé à plusieurs reprises d’aller faire la radiographie mais, le médecin du Camp (le Major) a toujours opposé un refus catégorique. Il a notamment dit, lorsque j’insistais d ’aller à la radiographie que mon intention serait de communiquer les résultats de l’analyse médicale à Amnesty International.

Aujourd ’hui, les séquelles sont là : je suis incapable de faire des gestes forts avec mon bras droit, je ne peux plus soulever sans souffrance et grandes douleurs des briques ou tout objet ayant du poids, il m’est difficile de respirer profondément, assis pendant plus d’une heure je commence par ressentir des douleurs variées et atroces. Si j’avais assez d’argent j’aurais fait la radiographie après ma libération.

2- Au Camp Séro-Kpéra (1ère étape)

Comme je l’ai dit plus loin, lorsque j’ai été transféré du camp Ghézo de Cotonou, c’était au Camp Séro-Kpéra de Parakou que j’ai été déposé le 25 Octobre 1985 par un camion militaire. A Parakou, j’ai subi des séances d’interrogatoires. C’est aussi à Parakou que j’ai pu bénéficier des soins en ce qui concerne mes douleurs des côtes, mais je n’ai pas pu bénéficier de l’examen médical de radiographie. J’ai fait un peu plus d’un mois à Parakou car, arrivé le 25 Octobre 1985, ce n’était que dans la première semaine du mois de Décembre 1985 que j’ai été transféré à Ségbana.

3- A la prison civile de Ségbana

De façon générale, la vie dans cette prison est particulièrement pénible pour moi. C’était pour moi un véritable enfer. Le climat était insupportable et les conditions de détention étaient inhumaines. On vivait dans une obscurité presque permanente. Mon organisme n’arrivait pas du tout à supporter cette situation. Pire encore, c’était mes douleurs des côtes qui persistaient et je n’avais que la pommade "zorro" pour mes soins. J’ai fait environ quatre mois à Segbana lorsque j’ai commencé par souffrir des maladies que je ne comprenais plus : tantôt c’étaient les maux de tête suivis de fatigue excessive et des douleurs dans les muscles. Des fois pendant deux semaines durant c’étaient les coliques interminables suivies de diarrhées qui durent des jours. A la suite, j’ai commencé par sentir des brûlures violentes dans le ventre et surtout dans les intestins. Peu à peu, j’ai commencé par sentir des maux de tête insuppportables et des picotements dans les yeux. J’ai demandé à aller à Parakou pour me faire soigner, mais c’était impossible. Mais Dieu est grand, heureusement, par la faveur d’un hasard, la Commission d’Enquête a organisé une grande vague de déplacement de détenus. J’étais heureusement de ceux qui devaient aller à Parakou. C’est ainsi que je fus transféré à Parakou le 8 Mai 1986.

4- Séjour au Camp Séro-Kpéra de Parakou (2ème partie)

Ce séjour a été très long et a couru du 8 Mai 1986 au 1er Avril 1989. A Parakou, j’ai commencé aussitôt mes soins médicaux. J’étais gravement malade et seule ma santé me préoccupait. J’allais à l’infirmerie, mais malheureusement c’était le même traitement à savoir : nivaquine, aspirine et des vermifuges. Tout cela était non seulement insuffisant, mais encore inefficaces, car mes maux n’ont pas cessé mais devenaient plus compliqués de jour en jour. Quelques mois après, j’ai commencé à ne plus voir correctement de loin. Je n’arrivais plus à lire correctement dans les livres. C’était difficilement que je distinguais les mots et les lettres. Je précise par ailleurs que, avant que je ne commence par sentir les maux d’yeux, je souffrais de rhumatisme. Tous mes orteils et mes articulations se raidissaient et me faisaient très mal. C’était par la suite que ma vue est devenue floue, les larmes me coulaient à flots. J’étais obligé de gratter mes yeux qui me démangeaient et me faisaient excessivement mal. Je m’étais rendu quelques jours plus tard à l’infirmerie de la garnison qui m’a envoyé à l’hôpital chez l’ophtalmologue. Ce dernier a procédé à l’examen médical. Il a découvert le mal et m’a prescrit de nombreux médicaments que je ne pouvais pas acheter faute d’argent. J’ai dû écrire à mes parents et à mon correspondant pour les informer. C’était en ce moment que mes parents étaient arrivés à Parakou et m’avaient acheté les médicaments. C’étaient des dizaines de mille qu’ils avaient dépensés.

Quelques mois plus tard, j’ai reçu de l’argent de mon correspondant et avec cet argent, j’ai pu respecter le régime alimentaire que le médecin occultiste m’a prescrit ; il y eut certes une amélioration mais actuellement, ma vision reste trouble lorsque je regarde de plus près et quand je regarde de loin, je ne vois plus clairement à partir de vingt mètres environ. Ainsi le mal persiste toujours et il me faudrait un nouvel examen en vue de m’acheter des médicaments et verres correcteurs (les lunettes) correspondants actuellement à mes yeux. Au total, j’ai passé une vie très malheureuse en prison. C’est au cours de mon séjour en prison que j’ai attrapé les deux graves maladies que sont : les douleurs que je ressens dans les côtes qui me gênent à tout moment, et il y a surtout mes maux d’yeux qui m’inquiètent beaucoup.

C) LES PREJUDICES : BILAN DES DEGATS

PROVOQUES PAR LA PRISON

En gros, la détention m’a créé beaucoup de préjudices, elle a créé des problèmes et de nombreux dommages à mes enfants (deux filles) et à ma mère. Les dégâts causés par ma détention (qui coure du vendredi 11 Octobre 1985 au 1er Avril 1989) se présentent comme suit :

 Le jour de mon arrestation après la longue séance de fouille les militaires ont emporté mes livres, mes documents personnels. Parmi ces objets emportés, on peut citer : tous mes collections de Lénine, Karl Marx et autres... Ils ont pris quatre rames de papiers forts, tous mes documents qui leur semblaient suspects, ma carte d’identité est restée avec eux. Je demande qu’on me retourne toutes mes affaires.

 J’ai subi en prison des dommages physiques. Je veux parler des maux de côtes. En effet je continue de ressentir des douleurs atroces au niveau de mes côtes droites. Cela serait dû soit à un déplacement des côtes, soit à une blessure que les coups de chaussures militaires auraient provoqué à cet endroit. A cet effet, il me faut une nouvelle consultation pour déterminer le niveau de dégénérescence de mes yeux en vue des prescriptions de médicaments et des lunettes (verres correcteurs) correspondants.

 Durant tout le temps que j’ai fait en prison, mes enfants n’ont plus été à l’école. Leur déplacement forcé de Cotonou sur le village causé par mon absence les a dépaysées et elles étaient découragées et démoralisées parce qu ’elles ont manqué d’encadrement adéquat. Il faudrait trouver une issue à ces deux filles qui ont déjà 14 ans et 16 ans.

 Ma détention a fait que mon avancement professionnel a piétiné. Pendant plus de trois ans et demi, j’aurais pu bénéficier soit d ’une bourse de stage ou d’un avantage qui aurait amélioré ma vie professionnelle et contribué à mon évolution. Il est normal qu’on redresse ce tort et qu’on répare ces dommages portés à ma vie professionnelle.

CONCLUSION- SOUHAITS

Je souhaite vivement que l’Etat béninois se penche favorablement sur mon cas et répare les nombreux dommages qui m’ont été faits. Je demande que justice me soit faite et que tous ces dommages énumérés plus haut me soient réparés. Par ailleurs, je tiens à souligner que depuis mon arrestation le 11 Octobre 1985, mon salaire a été coupé et est versé dans un compte obscur à la Banque Commerciale du Bénin (Agence Cocotiers). A ce sujet, je réclame mon salaire et demande qu’on me remette le montant total de tous les mois que j’ai passés en prison. En clair je réclame le paiement de l’intégrité de tous mes salaires confisqués depuis le 11 Octobre 1985, date de mon arrestation.

Luc Gbétondji AGNANKPE

26/ 01/ 50 à ADJAHON

Actuellement en service à la CO. BE. NA.M. 2.314

COTONOU- (R. BENIN)

En dehors des interpellations, j’ai été arrêté et détenu plus de 24 heures cinq (5) fois sous le régime du Parti-Etat PRPB.

 Septembre 1976 juste pour quatre jours.

 11 Mai 1977 à juillet 1977

 20 Novembre 1978 au 05 Avril 1979.

 Septembre 1982 : juste encore pour quatre jours.

 10 Juillet 1985 : juste une journée de 09H30 à 23H50.

 22 Juillet 1985 au 03 Septembre 1989.

Ces différentes arrestations et détentions sont l’expression même des crises et des résultats des luttes des peuples qui secouaient profondément le régime défunt du Parti-Etat PRPB.

1/ ARRESTATION ET DETENTION DE SEPTEMBRE 1976

Cette première détention sous le régime défunt survint à la suite de l’arrestation et de la détention d’un certain nombre de personnes qui revenaient de Lomé et sur qui la police avait retrouvé des documents dits subversifs. Toutes ces personnes étaient des camarades et amis à moi. La police établit alors que je ne devrais être étranger à ce qui venait de se passer, c’est-à-dire la création de l ’UNION DES COMMUNISTES DU DAHOMEY, se fondant sur mes activités passées, mes appréciations sur la situation politique nationale d’alors et enfin sur mes relations personnelles et politiques avec les personnes arrêtées, en tout cas sur rien de consistant sur mon appartenance ou non appartenance à ladite organisation. Ce qui suit relate les conditions de cet événement.

CONDITIONS D ’ARRRESTATION

Un beau matin, à peine m’étais-je réveillé que j’entendis frapper à la porte. Après quelques questions et réponses bredouillées, j’ouvris la porte. Il sonnait environ 06H15. C’était un agent de police en tenue civile du nom de KOUKPAKI (frère de l’ARP au ministère de l’Intérieur).

 Est-ce vous le camarade AGNANKPE Luc ?, demanda-t-il.

 Oui, qu’est-ce qui vous amène vers moi et qui êtes-vous ?

 C’est votre ami DJEGUI Narcisse qui m’envoie vous demander de lui envoyer la chose.

 Je regrette bien qu’il ne vous ait parlé que de chose sans l’avoir identifiée. Dis-lui donc que je ne suis pas arrivé à comprendre son message et que je lui demande d’être plus explicite.

Puis il retourna sur ses pas. Une heure plus tard, j’eus les précisions demandées : deux agents de police se présentèrent à moi étant des envoyés de la Commission Nationale d’enquête pour me conduire à l’ex-commissariat de Ggégamey d’où je ne sortis que le cinquième jour.

LIEU ET CONDITIONS DE DETENTION

L’ex-commissariat de Gbégamey fut mon nouveau domicile. J’étais à ma propre charge. J’avais vécu dans une même cellule avec les détenus (qu ’on nomme gardés à vue) de droit commun, une cellule oblongue où la crasse, le manque de lumière absolu et la chaleur en toute saison se discutaient la première place.

Ces conditions étaient certainement nécessaires pour eux pour agir sur le moral du détenu que j’étais. J’avais été épargné des tortures physiques. Evidemment, je n’avais pas eu à passer pour interrogatoire devant la Commission. Ce fut un des membres, le commissaire Pierre Claver GODONOU qui avait demandé de me libérer après s’être étonné. Ce ne fut que partie remise, puisqu’une autre arrestation interviendra en Mai 1977.

2/ ARRESTATION ET DETENTION DE MAI 1977

Cette arrestation s’opéra dans un contexte socio-politique qui donna les moyens au régime du PRPB de frapper très fort et très sauvagement : c était après l’agression du 16 Janvier 1977.

CONDITIONS D’ARRESTATION

Nous avons été convoqué par la radio pour nous présenter le 11 Mai 1977 au M.I.S.O.N (MINISTERE DE L’INTERIEUR DE LA SECURITE ET DE L’ORIENTATION NATIONALE) pour affaire concernant au 6ème étage chez le Directeur Général du Ministère d’alors, Monsieur Roger AHOYO. Nous étions, il me semble, au nombre de onze (11) ; tous étudiants à l’Université Nationale du BENIN dont deux jeunes filles.

 Amélie AZIABLEE, actuellement en service à la Direction des pêches.

 Antoinette ZOSSOUNGBO, actuellement en service à l ’OBEMINES.

 Clément AGOSSADOU, médecin à Savalou.

 Castrence ALYKO, BCN (commerce extérieur).

 Jérôme MEDEGAN FAgla, LABO BIOCHIMIE (UNB).

 Nicolas Désiré FASSINOU, SOBEMAP.

 Patrice GANGNITO, BCB.

 Camille KPADE, Médecin (CNHU-CUGO).

 Jérôme SAKAKININ, (COOP6CENTRALE).

 Julien TAGBADJA, Etudiant UNB.

 et moi-même Luc GB. AGNANKPE, COBENAM.

Après que nous fûmes présentés au Directeur Général du Ministère, nous avions été conduits au bureau du Ministre tortionnaire en chef, Mr Martin DOHOU AZONHIHo qui nous fit savoir que nous étions des membres de l’Union des Communistes du Dahomey (UCD), opposée à leur régime. Il précisa que c’était le résultat de leurs enquêtes et que des preuves irréfutables établissaient que c’était nous qui entretenions et alimentions la subversion dans le pays.

"En conséquence, déclara-t-il, je vais vous casser. Certains d’entre-nous ont des liaisons à l’étranger. Nous vous mettrons tous hors d’état de nuire, vous les ennemis de la révolution. Vous êtes des réactionnaires et vous serez traités comme tels".

Après cette déclaration de guerre par des mots d’intimidation qu’il martelait de toutes ses forces, il ordonna à des hommes-gorilles de nous emporter et de nous prendre en compte.

Certains, surtout les deux femmes, fondirent en larmes et voulaient affirmer leur innocence. Mais rien n’y fit, nous fumes embarqués dans le ’Yéyé bleu’ (SUPER GOELETTE de la Police) conduit par MAHULOLO. Nous fumes ventilés dans les différents commissariats de St Michel, au commissariat Central, à celui de ZONGO, à l’ex DPE (Direction de la Police d’Etat) pour choir enfin à la Compagnie Républicaine d’Intervention (CRI).

CONDITIONS DE DETENTION

Au commissariat St Michel, c’est un garage qui sert de cellule. Le sol cimenté portait quelque niveau de crasse puante. On y voyait se pavaner là-dessus quelques animalicules qui vous carressent le corps.

On ne rentre dans cette cellule très malpropre qu’en slip, et pour tout siège et tout lit, l’on avait eu que sa petite portion de sol d’à peine 60 cm2 lorsqu’elle est pleine.

Ce commissariat, de par sa situation géographique, recevait des délinquants et autres larcins et drogués du marché DANTOKPA. L’on peut comprendre que la cellule soit toujours comble.

Il paraît tout naturel que l’hygiène soit inconnue à ce lieu. Pour nos besoins nous avions un récipient. Celui-ci était vidé tous les trois jours et débordait souvent. L’on ne pouvait se laver qu’une fois par semaine dans le meilleur des cas.

Des consignes spéciales étaient données contre moi et je suis resté là près d’une semaine sans m’être jamais lavé. J’étais interdit de communication.

Je n’étais pas nourri et chaque matin et chaque soir (vers 16 heures), les geoliers venaient me chercher pour interrogatoire. Chaque séance était précédée de rodéo sec ou mouillé avec doube musette (à la poitrine et au dos).

Après quelques jours, quand mes blessures ont commencé par être importantes, on me transféra au commissariat central. J’étais resté au violon n°2, une salle oblongue ayant pratiquement les mêmes caractéristiques que la cellule du commissariat de Gbégamey.

Les pratiques semblent identiques avec les autres commissariats quant aux conditions de détention.

SEANCES D’INTERROGATOIRES

Pendant près de trois semaines, j’étais soumis à de très rudes épreuves telle qu’il sied à quelqu’un en qui le pouvoir voyait l’organisation de la subversion au niveau national.

Bref, ces tortionnaires exécutants se connaissent bien.

L’ordre était donné de me soumettre aux conditions les plus intenables pour m’amener à parler. Je fus donc confié à une équipe spécialisée qui ne comprenait que des policiers et des agents de renseignements parmi lesquels se trouvaient un certain SINDJAME (c’était un karatéka), SINHO (il joue pendant longtemps le rôle de provocateur, il lui arrivait très souvent de se constituer en garde le corps de ma copine qu’il suivait dans ses déplacements, surtout quand elle revenait du campus en week-end à COTONOU), ANIAMBOSSOU (un agent de police ; ce n’est ni le commissaire qui doit être déjà admis à la retraite, ni celui qui est actuellement au service Emigration). Il y avait bien d’autres dont j’ignore les noms. Mais ils doivent se connaître.

Je puis dire qu’ils exécutaient leur tâche avec un zèle inédit. Toutes mes séances d’interrogatoires étaient toujours précédées de tortures physiques et toutes sortes de rodéo (secs ou mouillés). Le moment privilégié de ses séances inhumaines est celui où le soleil est au zénith.

Elles se déroulaient à l’ex-Direction de la Police d’Etat (commandements des commissariats des forces de Sécurité Publique situé en face des Chèques Postaux) et généralement après les heures de travail (entre 14H-16H). C’était la période des journées continues de travail.

L’impression que j’avais, c’est que c’est la commission même qui fixait les tortures en fonction des séances d’interrogatoires. Si ce n’était pas le rodéo, c’était les flagellations qu’une bonne équipe d’environ six (6) personnes exécutaient. Elles se relayaient trois à trois, mais leur victime elle était toujours la même.

En slip, musette remplie de sable, sous des averses de chicotes, mes bourreaux me conduisaient au robinet pour me mouiller, puis me soumettaient à quelques épreuves physiques (reptations sur le ventre, sur le dos, roulades avant, roulades arrière, trépied, marche sur les genoux, reptations avec appui sur les coudes sur des endroits pavés de graviers et de caillasses et tout cela toujours sous le soleil caniculaire).

Il est des épreuves pour lesquelles je ne portais pas musettes. Mais dans tous les cas, les rodéos s’exécutaient musette au dos et/ou à la poitrine. Lorsqu’il s’agissait de rodéos mouillés, j’étais conduit au robinet musettes remplies de sable pour y recevoir ma douche.

Ces rodéos qui consistaient à courir, à ramper, à rouler, à monter les mûrs, à y marcher et courir et en descendre étaient agrémentés de quelques séances de flagellations et d’autres exercices telles que marches de canard et de crapaud (rester accroupi et sautiller) ; un autre exercice consiste pour rompre avec la monotonie des autres épreuves, à éprouver la résistance des yeux face au soleil ; vous restez, toujours en slip et torse nu, bien entendu sur le sol surchauffé, les yeux bien tournés vers le soleil au zénith sans jamais les cligner sous peine des pluies de chicotes et de lanières, qui vous rappellent à l’ordre.

Il est évident que l’obéissance à cet ordre ne saurait durer plus que quelques secondes parce que cette épreuve est extrêmement difficile. Les sévices et tortures sont à cette étape inévitables, je dirais même incontournables. S’il est possible de limiter les coups dans l’exécution des autres épreuves, celle de résistance des yeux au soleil est une bonne occasion pour vous en asséner le maximum. Ils vous disent d’ailleurs qu’eux autres sont payés par la révolution pour mettre hors d’état de nuire les "tracteurs" (entendre rédacteurs et distributeurs de tracts).

Un jour, je me retrouvais avec Castrence ALYKO (arrêté dans les mêmes conditions que moi) à la séance de tortures. Tous deux, nous fûmes soumis aux mêmes épreuves. Mais lui d’allure moins sportive et moins résistant que moi, eut beaucoup de difficultés à affronter celles-ci, et des coups, il en reçus sur la tête et dans les yeux. Jusqu’à ce jour, l’intéressé ne s’est pas retrouvé et souffre effroyablement de maux d’yeux. Ceux qui l’ont connu avant son calvaire s’étonne de ce que ce jeune homme très intelligent et bosseur est devenu : il est complètement atteint et je suis très personnellement inquiet et pessimiste pour sa santé. Rien à ma connaissance ne peut réparer les dommages physiques et moraux causés à sa personne. Cependant l’Etat doit prendre en charge son problème de santé et l’indemniser, bien sûr avec toutes les autres victimes ou leurs ayants droit.

Les tortures ne se limitaient pas aux seules séances qui se déroulaient dans la cour de l’ex-Direction de la Police d’Etat. La salle d’interrogatoires ou salle de conférence était aussi un lieu privilégié de tortures pour arracher les aveux. Des séances d’interrogatoires, deux étaient particulièrement émouvantes.

La première, c’est le jour où j’ai eu le cinquième métacarpien de mon auriculaire gauche fracturé sous les coups de Marius DADJO alors inspecteur de police et membre du comité de défense de la révolution (CDR) de la police, aujourd’hui résident de la Fédération Béninoise de Football. L’intéressé s’était mis dans un état de rage, trouvant inadmissible que je "mente" sur les choses qu’il croyait évidentes à son avis et avait donc juré d’obtenir la vérité pour faire avancer la commission. Malheureusement, il ne fut pas plus utile qu’il ne l’avait été jusque-là.

C’était donc lui, Marius DADJO, aidé par SINHO qui s’appliquaient dans l’exécution des séances corporelles contre ma personne aux interrogatoires. Les instruments étaient les matraques (noires), les chicotes, les lanières et les menottes.

Usage était fait de tout cela. L’on vous menottait de plusieurs façons : les mains derrière et les pieds également, étendu sur la table de la salle de conférence le dos pressant donc les menottes réglées méchamment à vos poignets.

C’est dans cette position que l’averse de coups de lanières, de chicottes et de matraques tombe sur vous sans la moindre retenue.

Une autre position, c’est de vous maintenir menotté de la même manière mais cette fois-ci couché sur le ventre pour permettre à ces vils individus d’exécuter leur sale besogne ; c’est ainsi qu’ils m’ont cassé le doigt dont j’ai parlé plus haut.

Je ne su que j’étais victime d’une fracture que le soir quand je rejoignais ma cellule. Je refusai ce jour-là d’intègrer le violon n°2, ce qui obligera le membre de la commission qui était allé me déposer, à demander au Chef de poste de me mettre à la grille.

N’eût été la compassion des locataires de la grille, notamment d’un certain Dr OSSENI (qui enseigna plus tard le cours de santé publique au Centre Régional de Santé Publique) qui prit soigneusement soin de moi comme le ferait une maman à l’égard de son enfant malade, j’aurais peut-être eu une infection. J’étais fortement courbaturé. Il me massa et commanda des médicaments anti-inflammatoires et du décontractyl pour moi. J’étais sans contact et sans sous sur moi.

Le lendemain, je comparus de nouveau devant la commission, toujours soumis aux sévices habituels, bien que j’eusse la main enflée et ai annoncé que je sentais une fracture au doigt.

Cela ne changera que négativement ma situation car c’était le moment que choisit la commission pour me demander de dire ce qu’elle me voulait déposer, à moins d’être masochiste. Mais je n’hésitais pas à dire à cette commission que c’était plutôt elle qui était sadique. Elle reçut mal ces propos et la séance continua de plus belle sans tenir compte de cette fracture.

L’acharnement fut décuplé les trois jours qui suivirent : la tactique était de concentrer tous les moyens pour avoir les aveux. Malheureusement la commission n’avança pas d’un iota.

C’était bien en cette période que la rumeur de ma mort circula à l’Université et dans Cotonou.

Je restai pendant plus de deux semaines à ruminer mes douleurs physiques liées à la fracture, le MISON s’étant opposé à un quelconque examen à l’hôpital. Il a fallu des relances de correspondances sur correspondances au commandant de la CRI (GOMINA) que je ne manquais pas bousculer, pour me voir un jour conduire au CNHU (Centre National Hospitalier et Universitaire) pour la radiographie qui révéla qu’il y avait effectivement une fracture ; une intervention chirurgical était prescrite ; faute de m’être présenté à temps chez le Docteur, les parties de l’os cassé qui se chevauchaient s’étaient développées un peu trop rapidement en sens inverse..

Une fois encore, après le diagnostic et la prescription de l’intervention chirurgicale, il a fallu des jours et des jours pour convaincre le MISON, le tout-puissant, le célèbre Martin DOHOU AZONHIHO, Goebels béninois, avant qu’il n’autorise mon hospitalisation ;

Entre-temps, le mal a évolué négativement et le diagnostic devrait changer légèrement étant donné le développement anormal des deux parties de l’os cassé.

Mais finalement, notre MISON accepte mon admission en chirurgie au CNHU de COTONOU. Trois hommes armés chacun de fusil mitrailleur assuraient ma garde. J’y séjournai du 12 au 28 juin 1977.

L’opération chirurgicale ne fut pas facile. Le professeur Henri Valère KINIFO assisté du Dr PETIT Jean traita cette affaire avec un soin exceptionnel pour la réussir. Des dires des internes des hôpitaux, c’est une intervention très délicate dont le succès à 100% n’est jamais assuré.

Les spécialistes de la médecine savent bien en quoi consiste ce travail délicat sur un petit os cassé.

Enfin, je porte encore sur mon corps les traces indélébiles des bonnes oeuvres de ces messieurs.

ARRESTATION ET DETENTION DU 02.11.78 AU 05.04.79

Le 02 Novembre 1978, alors que j’étais au bureau à l’intérieur du port, quelqu’un sy présente et me demande si c’était moi Luc AGNANKPE. Je lui réponds que oui.

Alors, il décline son identité et m’annonça qu’il était envoyé par la commission nationale me chercher. J’exigeai de lui une pièce attestant son identité, car moi, lui avais-je dit, je ne me laisserai pas emporter par n’importe quel individu qu’on ne retrouverait plus après. Très agité et fier de sa mission dont son inconscience ne lui permettait pas d’apprécier les conséquences, il exhibe sa carte d’identité professionnelle ; c’était l’agent de polie VIGAN. Je lui demandai où il m’amenait. Il répondit : "LA CRI".

Il me conduisit à la Compagnie Républicaine d’Intervention (CRI° et me fit comparaître devant ladite commission où je reconnus Mrs Bernard SINGJALOUM, un certain OUSMANE (actuellement admis à la retraite et employé par le Magasin SOBA.

Je fus immédiatement enfermé dans une des cellules de la CRI sans contact, puis ressorti pour rester au poste de police. C’est là que mon collaborateur Constant OLYMPIO vint me rendre visite le même jour à la sortie puisqu’il savait où devrait m’emmener Mr VIGAN. D’ailleurs lui et VIGAN se connaissent bien.

Aussitôt à son arrivée au poste, ce dernier le sonna de questions. Mais l’une des réponses qui coûta environ quatre jours de détention à mon collègue, c’était :

le camarade AGNANKPE est un brave type que ne pourrez pas réduire facilement. C’est vain les tracasseries que vous lui faites subir, avait-il déclaré à Mr VIGAN devant moi.

Ce dernier y trouva un affront et le fit enfermer. La commission alla le perquisitionner et le garda pendant quatre ou cinq jours. N’eut été l’intervention de sa femme, une policière, il aurait pu faire banalement, à cause de moi, autant que moi comme durée de détention.

Le soir de mon arrestation, je passai à l’interrogatoire dans la cour de la CRI à

quelques pas de l’équipe d’exécution des tortures.

Nous avons eu d’anciens rapports sur vous, camarade AGNANKPE.Il en ressort que vous n’avez pas l’habitude de répondre aux questions. Vous les feintez, c’est votre habitude. Mais cette fois-ci, nous espérons que vous allez nous aider, nous faciliter la tâche", avait déclaré Mr SINDJALOUM qui présidait cette commission.

 Moi j’ai toujours répondu aux questions, mais peut-être sans satisfaire pleinement ceux qui les posent, avais-je répliqué.

Puis vinrent ces premières questions relatives à mes relations avec certains étudiants à l’Université Nationale du Bénin (quelques noms étaient donnés) qui pensaient que les choses ne se passaient pas comme ça du temps où j’erétais responsable des étudiants. Il en a déduit que c’est moi qui les montait.

Evidemment de tous les noms, je n’en connaissais qu’un seul, puisque celui-ci était secrétaire général de la section dahoméenne de l’Union Générale des Elèves et Etudiants Dahoméens (S.D./UGEED dont je fus le Président.

Mes réponses furent qualifiées d’insolites et l’un d’entre les membres de la sous-commission qui était derrière moi pour me rappeler à l’ordre menaça de s’exécuter (je me labourer le corps si je persistais à ne pas me considérer comme un cadre responsable.

Il ne put se retenir quand je confirmai mes premiers propos. Ses patrons le temporisèrent, mais j’en avais déjà eu pour mon compte. Tans pis pour lu", dit-il.

Puis après quelques autres questions dont la reconnaissance de mon style dans les tracts qui circulaient, je fus renvcoyé au garage à l’ex-DPE d’ou je ne serai rappelé pour un autre interrogatoire que le 25 janvier 1979. Mes mots ne furent pas tendres et n’avaient rien arrangé. Le tout-puissant Antoine KPOHAZOUNDE alors premier responsable CDR et président de la sous-vcommission qui m’entendait solennellement ce jour-là conclut que je les avais nargués.

Je fus à nouveau retourné à mon garage où je séjournai jusqu’au 05 Avril 1979.

ARRESTATION ET DETENTION DE SEPTEMBRE 1982

Des malaises socio-politiques couvaient et avaient même éclaté dans notre pays : en Avril 1982 naissait la Centrale Syndicale des Travailleurs du BENIN (CSTB) ; les enseignants s’organisèrent pour revendiquer leurs droits, notamment les arriérés d’indemnités de correction pour divers examens et concours. Le pouvoir du régime de KEREKOU était mis à l’épreuve et il ne restait qu’à mettre hors d’état de nuire des boucs-émissaires en les isolant. C’est ce qui explique mon arrestation et ma détention de quatre jours.

Cette fois-ci, je ne connus pas de tortures physiques. Les questions à l’interrogatoire se rapportaient à mes activités politiques en France pendant que j’y étais en formation et mes accointances avec certaines personnes là-bas.

Une fois encore, je reçu la question de savoir pourquoi je n’avais pas profité de mon départ en France pour y rester définitivement.

Evidemment mes réponses à ces questions étaient toujours insatisfaisantes. Lors des perquisitions à domicile où se trouvaient le feu adjudant-chef Christophe AGASSA et l’officier de paix Mr MIGAN, ils avaient emporté certains de mes livres et correspondances non retournés à moi jusqu’à ce jour.

Les autres membres de cette sous-commission furent le magistrat Théodore AISSI, l’officier de police François-Xavier DANON, le commissaire François AGONVINON.

Cette fois-ci, je n’ai pas été torturé physiquement. Je fus gardé à la brigade Territoriale de COTONOU dans des conditions, en tout cas pas du tout enviables.

ARRESTATIONS ET DETENTIONS DE JUILLET 1989 AU 03 SEPTEMBRE 1989

Elles se sont opérées en 2 phases :

La première le 10 Juillet 1985. J’ai été perquisitionné au bureau et à domicile. Ma garde à vue, cette fois-ci l’on peur l’appeler par ce nom, alla de 09H3O à 23H00. Je fus gardé à la grille du commissariat central.

Elle n’aura été qu’un processus pour parvenir à une détention de longue durée : du 22 Juillet 1985 au 30 Septembre 1989.

Le mardi 22 Juillet 1985 vers 17 H, une équipe des agents de renseignements du parti-Etat PRPB, vint me chercher au bureau. A leur tête l’officier de police HOUNSOU. Je fus consigné dans le registre du commissariat spécial du port sous la responsabilité de l’officier de police OUSMANE que je ne verrai point jusqu’à mon transfert au camp Séro Kpéra de Parakou le 6 Novembre 1985.

Du 22 Juillet 1985 au 6 Novembre 1985, je passais les journées au poste de police et les nuits dans une cellule que je partageais avec d’autres détenus parmi lesquels ne se trouvait qu’un seul politique, Francis DAKO. Jérome HOUESSOU s’ajoutera à nous en Octobre 1985.

En dehors de l’exiguité de la cellule que par nos propres moyens nous entretenons, elle n’est pas bien éclairée et aérée. On s’y couchait bien serrés. Cette cellule d’à peine 7 m2 arivait à contenir jusqu’à la trentaine.

Le 6 Novembre 1985 par l’avion de l’escadrille, j’arrivais au camp Séro Kpéra avec une vingtaine d’autres camarades.

Ce fut là que je verrai une fois encore les atrocités dont un homme est capable sur un autre.

Pendant près d’un mois, on restait enfermé 24H/24H. L’on était nourris aux frais de la commission. La qualité ? N’en parlons pas. Il s’agissait de remplir le ventre. Les visites n’étaient pas autorisées le premier mois.

Les interrogatoires étaient réellement musclés ; le commandant Clément ZINZINDOHOUE, le capitaine Fousseni GOMINA, le lieutenant Alexis BABALAO et autres en étaient les chefs.

Enfin, chacun a dû raconter comment cela s’est passé avec lui, sinon des documants (lettres à l’Assemblée Nationale Révolutionnaire, au procureur du parquet Populaire central ... Notes d’information aux organisations humanitaires de défense de droits de l’homme) en ont suffisamment fait cas.

DE SEVICES CORPORELS ?

Me comparant à d’autres par rapport à ce que je les ai vus vivre, je me dois de taire ce que j’ai vécu personnellement.

A Parakou, nous avons été soumis à des travaux forcés dont les pires furent : vidange des wc, forages des fosses sceptiques et des regards au poste central et au poste jardin.

Ces travaux qui nécissitaient de la force physique ont été la cause d’une ptôse que je traîne depuis 1986 suite à une intervention chirurgicale d’hernie remontant à février 1968. Une opération est encore nécessaire.

Le 29 décembre 1988, je fus déporté à la prison civile de Sègbana. Mes maux d’yeux se sont aggravés ainsi que l’ulcère gastrique que j’avais commencé par sentir juin 1985 et que l’alimentation et les conditions n’ont pas aidé à guérir.

Les évacuations que le médecin-chef de Ségbana avait prescrites en Août 1986 rencontraient toujours les oppositions du Président de la commission Mr ZINZINDOHOUE qui voyait assurément dans leur réalisation le tarissement des moyens financiers permettant de se payer les fabuleuses indemnités et primes. Ce ne sera que suite à des mouvements de protestation et de grève de la faim déclenchés par les détenus de Ségbana en 1986/1987 qu’une seule solution apparente intervint. Nous avons été évacués sur l’hôpital de GUERE (BEMBEREKE) en décembre 1987.

Nous avions été consultés. Mais la commission refusa de supporter les frais des produits pharmaceutiques et nous revîmes à la case départ. Nos luttes forcèrent le nouveau Président, le Commissaire ATAKPA à se pencher sur les problèmes de santé à partir d’Octobre 1988.

Les frais pharmaceutiques furent pris en charge. Les problèmes d’évacuation ont été résolus.

Pendant longtemps, nous étions interdits de toutes visites.

Seules nos luttes constantes et résolues ainsi que celles de nos parents, camarades et amis à l’extérieur obligèrent le pouvoir à nous reconnaître le droit de recevoir nos visites le 18 Août 1988. Elles ont aussi été à la base de notre libération décidée le 30 Août 1989.

AHOSSI Jacqueline née ASSOSSOU

30 ans, ménagère

Date d’arrestation : 29 Janvier 1986

Date de libération : 30 Janvier 1986

Motif : Prise en otage à la place de mon époux recherché.

J’ai accouché le mercredi 22 Janvier 1986 au CNHU en l’absence de mon mari poursuivi par la police politique de l’autocratie est descendue chez moi.

Sans taper au portail, ils (les militaires) ont escaladé les murs de clôture de chez moi. Certains ont fait la ronde autour de la maison. Ceux qui ont escaladé le mur de clôture ont encerclé le bâtiment central et ont commencé à remuer toutes les portes et fenêtres.

Réveillée par les bruits, j’ai ouvert les portes et je fus accueillie par les militaires. Qui cherchent-ils, Mon mari. Répondant que je sais où se trouve mon mari, j’ai été reçue par des gifles. Ce fut le début du calvaire.

Un groupe de flics furent occupés à fouiller systématiquement tout dans la maison. Tout était mis en désordre. Un autre groupe est chargé de me taper systématiquement ensemble avec la fiancée de mon beau-frère. Le troisième groupe a maintenu encerclée la maison et empêcha tous les voisins du quartier qui accoururent vers la maison, alertés par mes pleurs et les bruits dans la maison.

Ils continuèrent à me taper ou me giflaient. D’autres me tapaient la tête avec leur crosse. J’ai même uriné sans m’en rendre compte. Il en est de même pour ma seconde.

Et les fouilles et les tortures durèrent plus de deux heures. Après cela, ils m’ont posé la question suivante : Lequel de tes enfants ressemble le plus à son père, ton mari n’ayant laissé aucune de ses photos, Question à laquelle j’ai répondu que je n’en sais rien Là, c’est encore la torture qui fut leur riposte.

Avant de m’emporter, ils m’ont dit de leur dire honnêtement là où il faut trouver mon mari car je ne suis pas concerné et que si l’on le trouve, on trouvera tous les chefs parce qu’il est un chef dans la subversion. Mais j’ai observé le silence. Face à cette attitude, un militaire m’a giflée au visage et ma mère et ma belle-mère qui se trouvaient avec moi se sont mises à pleurer.

Dehors, j’ai constaté qu’ils (les militaires) étaient plus d’une quarantaine avec au moins cinq véhicules. La torture que je subissais ne m’a pas permis de bien observer les choses. En m’emportant, ils ont pris les bulletins de visites médicale que j’ai pour les soins.

En chemin, ils ont fait escale chez mon beau-frère avec les mêmes problèmes en apportant le frère consanguin de celui-ci.

Arrivée au Petit Palais, je n’ai pas fermé un instant les yeux. On me tapait en désordre. Des gifles, des coups de godasse et de crosse sur la tête, mes membres et au visage. Je tombais sous ces coups régulièrement. Les militaires venaient me torturer à tour de rôle.

Cependant, il est à noter la grande sympathie d’un d’entre eux qui ne voulait pas qu’on me torture et criait par moment au scandale.

J’avais des blessures et des égratignures un peu partout sur mon corps. Avant le lendemain jeudi 30 Janvier 1986, j’avais tout mon corps notamment mon visage et mes membres gonflés. J’étais incapable de mouvement correct. Une femme, à ma vue, s’est écriée le lendemain : "Vous allez tuer les gens avec cette pratique. Une nourrice,". Un militaire a dit aussi : "Je ne suis pas dedans car ils risquent de tuer la dame".

Ce jeudi 30 Janvier 1986 à 9 heures 30, j’étais pratiquement incapable de mouvement. UN militaire (apparemment, l’un de leurs chefs) me propose de me conduire à l’hôpital à mes frais. Ce que j’ai refusé en disant que je n’ai pas d’argent et que je veux aller faire mes toilettes chez moi.

Face à ma fermeté pour ne pas aller à l’hôpital à mes frais et vu la gravité de mon état, ils ont fini par céder en me conduisant à la maison (donc chez moi) autour de 11 heures. Et j’ai fait mes toilettes devant les militaires. C’est dire que ma nudité ne vaut rien pour eux. Même au W-C, je suis gardée.

Mes enfants étaient comme de véritables orphelins. Ne parlons plus de mon bébé de sept (7) jours ! Il a pleuré toute mon absence jusqu’à l’apparition d’une hémorragie ombilicale et dormait déjà à mon arrivée. Tous mes efforts pour le faire téter sont vains. C’est dans ces conditions que les militaires m’ont retournée au Petit Palais.

Ils m’ont ramenée chez moi encore vers 15 heures avec les mêmes scènes. L’hémorragie ombilicale de l’enfant continue. Et il n’avait même pas la force pour téter. Ils m’ont retournée encore au Petit Palais pour me ramener à la maison autour de 18 heures. A ce tour, un militaire, marqué par la scène ignominieuse. L’état de mon bébé et ma belle-mère qui disait de la prendre à ma place - sympathise fortement avec et suggère une solution.

En effet, ce militaire a dit à ma belle- mère de tout faire pour amener l’enfant (le bébé) au Petit Palais le montrer aux gens sinon je ne serai pas libérée. Ce que ma belle-mère a fait par l’aide d’une amie de quartier parce qu’elle ne connaît nulle part à Cotonou.

C’est avec la présentation du bébé de sept jours à tout le monde au Petit Palais que j’ai été mise en liberté avec des menaces : "Ton mari est un chef de la réaction. C’est un mauvais citoyen. Si l’on le voit, on verra tous les chefs. Il faut venir le signaler dès qu’il arrivera car ce n’est pas toi qu’on cherche. Tous les traitements qu’on t’a infligés son oeuvre. Ce qui est sûr, nous le trouverons s’il n’est pas déjà à Segbana ou Parakou." C’était autour de 20 heures 30.

Ils ont gardé ma maison toutes les huit pendant au moins un mois. Tous mes déplacements étaient surveillés pendant des années (jusqu’en 1988). Ils ont fait un grand trou derrière ma chambre où ils pensaient trouver des choses enterrées.

Quels dommages n’ai-je pas subis,

Quelques mois plus tard après ces tortures policières, et contrairement à mon état, je commence par souffrir de maux de dent dans la même année et finir par perdre quelques dents. Je reprécise que je n’ai jamais souffert de maux de dent jusque-là.

En Octobre-Novembre 1989, ce fut les maux d’yeux qui furent virulents. Malgré les dépenses énormes, j’ai fini par perdre mon oeil gauche (vu sur croquis). Le seul qui reste est tout le temps en traitement. C’est dire que le pouvoir assassin de KEREKOU m’a gâté tous les yeux.

Le Directeur du service (service des impôts) de mon mari a non seulement bloqué ses primes mais refusé de me délivrer des bulletins médicaux de prise en charge. Ce qui a compliqué encore les choses.

Madame AKPOKPO Hogbonouto (Mère de AKPOKPO Rémy)

(Mère de AKPOKPO Rémy)

Née : Vers 1942 à Abomey

Ménagère

Date d’arrestation : le 24 Décembre 1987 à Cotonou

Arrêtée le 24 Décembre 1987 et conduite à Bohicon puis encore à Cotonou où j’ai retrouvé ma liberté après 4 mois de détention. Cette détention a été une grande épreuve pour moi, car j’ai vécu là les tortures physiques et morales de la force de sécurité du Zou : on me tracassait, on me frappait, on me posait des questions auxquelles je ne peux jamai avoir de réponse, tout ceci parce qu’ils m’ont arrêtée avec mon enfant, donc je connaissais bien là où mon enfant est en exil et je suis venue lui dire de prendre fuite.

Les commentaires et les exécutants sont : Ogoucholla et Kesso. Ils m’ont battu jusqu’à ce que j’ai perdu connaissance et sont venus m’étaler sur le sol au salon de la brigade où la scène s’est passée.

Après la torture je fus conduite à l’hôpital où j’ai commencé par prendre des soins. Une partie de ses soins est restée à ma charge.

J’ai perdu l’enfant le plus préféré au cours de cette détention ; père d’une famille qui veillait sur ma situation sociale.

J’ai perdu mon commerce ainsi le capital car au cours de cette détention, les enfants s’en sont servis.

Soins : 8.500 F

Capital : 1.000.000 F

Aide que mon enfant me portait par an : 100.000 F, malgré qu’il ne fait encore rien.

Au total il me faut 1.185.000 F sans compter la charge de mes arrières enfants.

M. AKPOKPO Marcellin (père de AKPOKPO Rémy)

( père de AKPOKPO Rémy)

Né vers 1933 à Cotonou

Profession : Maçon

Date d’arrestation : le 06-12-1987

Arrêté le 06-12-1987, amené à la brigade territoriale d’Abomey puis au commissariat central de Cotonou où j’ ai trouvé ma liberté. On me demande où s’ est exilé mon enfant Akpokpo Rémy. Je vous dis que pendant cette dure période de détention, c’ est moi-même qui me débrouillais pour satisfaire mes besoins.

Sous l’ ordre du capitaine KESSO, le CB me jète dans le violon où ce n’ est qu’ après huit jours que je suis sorti de là.

Au cours de ma détention mes soins sont restés à ma charge.

J’ ai perdu mon cher enfant et c’ est en prison qu’ ils sont venus nous enfermer le 15-02-1988 et ce n’est qu’ après 2 mois que j’ ai retrouvé ma liberté après l’ enterrement de mon enfant à mon absence. Il a laissé des enfants une fille d’ un an et demi et le foetus du garçon actuel qui ont besoin d’ éducation.

Madame AGONHOUN Cathérine veuve AKPOKPO Rémy

veuve AKPOKPO Rémy

Née en 1961

Profession : Ménagère

Date d’ arrestation : 24 Décembre 1987 à Cotonou

Arrêtée le 24 Décembre 1987 à Cotonou et conduite à Bohicon où les questions ont jailli sur moi. Bien avant qu’ on ne m’ arrête, ils m’ ont vu à Abomey puis après avec mon mari à Cotonou. La seule chose qu’ on me demande c’ est que j’étais en état de grossesse et ils me demandent de savoir comment je ne voyais pas mon mari puis je vais me retrouver dans cet état.

Je fus conduite au commissariat central, au Petit Palais de Cotonou puis de Parakou où j’ai retrouvé ma liberté après 4 mois de détention. Au cours de cette dure période de détention tout était resté à ma charge.

Pour OGOUCHOLLA, les recherchés n’ont pas droit de se marier car il me dit : Tu sais bien ce que fait ton mari et tu l’ as choisi comme ton époux mais que c’est fini maintenant qu’il va mourir en prison et si je ne sais pas faire je risque d’accoucher en prison là et l’enfant naîtra prisonnier et restera prisonnier. A ces mots je ne faisais que pleurer du matin au soir. Les commanditaires et les exécutants du temps sont OGOUCHOLA et KESSO.

J’ ai été malade au cours de cette détention et une partie des soins est restée à ma charge. Pour cette détention, j’ ai perdu mon commerce surtout le capital. J’ ai perdu mon mari, père de deux enfants : une fille et un foetus du garçon actuel. Mon mari est mon seul soutien.

CAPITAL DU COMMERCE : 550.000 F

SOUTIEN PAR AN DE MON MARI : 200.000 F

SOINS : 50.000 F

Au total il me faut : 800.000 sans compter les années à venir et l’éducation de ses enfants. Voici les photos de ses enfants.

ALAVO Eric Désiré Wilfrid

Né le : 5 Janvier 1968 à Abomey

Date d’arrestation : 24 Avril 1989

Date de libération : 22 Août 1989

Centres de détention :

 Commissariat de Zongo (DUC 4)

 Commissariat Central de Cotonou

Le vingt quatre Avril de l’an mil neuf cent quatre vingt neuf à sept heures et demie (7 h 30) au Lycée Coulibaly deux messieurs se sont présentés à moi. Ils étaient tous deux au service du Petit Palais. L’un s’appelle Gbaguidi et l’autre Barnabé. Ils étaient tous deux au service à Hilacondji (sans autre adresse et identité).

Ils étaient, le jour-là, au lycée dans le cadre de l’exécution de leurs fonctions.

Gbaguidi, à son arrivée avec sa vespa, s’était promené dans les classes de l’établissement. Il a alors remarqué dans l’un des salles ( où il m’a vu sortir) que des grafftis étaient faits contre les murs et des phrases sur le bureau et le tableau. Il m’a donc suivi jusqu’à la sortie de l’établissement et a attendu la fin de mon déjeuner. Je me suis présenté à lui après un appel qu’il fait poliment. Je lui ai laissé mon bic feutre (que j’avais utilisé pour l’explication d’une épreuve de dessin avec un camarade quelques instants avant quand il me l’a demandé).

Après cette exécution, je lui ai demandé à mon tour de se présenter à moi quand son second (Barnabé) se présenta tout furieux et laissa entendre : "C’est lui, c’est le marqueur, toi, tu serviras de cobaye aux autres. C’est toujours le lycée, on a marre". Après ces mots, il commença par chercher un taxi ; le moyen de transport une fois trouvé, il me demande de monter ce qui évidemment n’était pas de mon accord, donc mon refus. Il a essayé de m’embarquer de force et la résistance a engendré une bagarre. Pris de pitié devant les coups que je recevais des deux agents, les morsures que je recevais par ces mêmes agents pour me décourager à lâcher le bic feutre que j’ai repris entre temps, mon sang qui coulait de ma tête, sur mon bras, mes mains, ma poitrine et ma figure, mes camarades venaient à mon secours en masse quand le nommé GBAGUIDI a fait sortir son pistolet automatique et le chargea. La foule avançait malgré ses menaces. Cette foule décidée a été prise de peur quand un coup est parti dans le vide.

Vu la gravité de la situation, j’ai accepté la proposition faite par l’un d’eux qui est allé voir (nous trois) l’administration de C. P. COULIBALY. On était là quand d’autres agents du Petit Palais, le commissariat central, celui de Zongo et le Chef DUC1 se présentèrent. Sur demande de l’administration, j’ai suiivi les hommes du Commissariat de Zongo.

Quinze (15) minutes environ après notre arrivée à Zongo, les hommes du Petit Palais se présentèrent encore pour me déférer au Petit Palais.

Depuis la voiture, on me gifflait les mains menottées derrière. Une fois arrivé au Petit-Palais, des gens m’attendaient et se jetèrent sur moi en m’appelant colis (le nom commun aux détenus). De 9 h 15 jusqu’à 13 h30, heure à laquelle j’étais enlevé dans la ville, j’ai été le jouet des uns, la charge de colère, des problèmes de la maison, de jalousie pour certains et la nourriture pour les autres. Ils me tapaient avec des matraques, des lanières, des bois servant à ouvrir les persiennes, des rangers ; ce qui m’a le plus fait mal. Ils m’ont laissé vers 13 h 30 après m’avoir battu à sang. Ils m’ont roulé dans du sable chaud et sont montés sur moi, m’ont demandé de leur montrer ma maison. Une fois connue, une perquisition en règle de 3 heures de temps a été faite par trois (3) agents. Le rapporteur de la perquisition a attesté que rien de suspect n’a été trouvé chez moi. C’est alors qu’arriva le temps d’interrogatoire. Ils étaient au nombre de cinq (5) répartis comme suit :

 Deux (2) qui me posaient des questions,

 Un (1) qui prenait des notes,

 Et les deux (2) restants se tenaient derrière moi et m’assommèrent de coups dès qu’une réponse n’allant pas dans leur sens sort de ma bouche. Donc toutes les questions ont représenté pratiquement des coups sous moi sauf celles afférentes à mon identité.

L’interrogatoire était fait en réalité pour savoir de moi des noms des personnes qui sont contre la politique du PRPB ou qui sont membres du PCD (Parti Communiste du Dahomey). Après cet interrogatoire à 14 h 30, les vautours affamés ont repris leur travail cette fois-ci parce que j’ai blessé l’un de leur camarade et ceci jusqu’à 17 heures à laquelle je suis transporté au violon du commissariat de Zongo.

J’étais là avec deux (2) autres détenus ATCHIKE Coffi arrêté en Octobre 1988 et KISSI Michel en Janvier 1989 quand, un matin du vendredi 29 Juin 1989,deux de ceux qui m’ont fait le premier interrogatoire sont venus pour un autre interrogatoire cette fois. Comme la première fois, des propositions très grandes sont faites ; seulement que pour la dernière fois, ils avaient une fiche faite par le CNPSE. Aussi une promesse de bourse d’étude occidentale m’a été faite à une et une seule condition : c’est de citer des noms ou au moins un nom même si c’est douteux.

Après cet interrogatoire, mon père et certaines personnes (D/CPC) ont entendu dans les coulisses l’ordre qui stipulait mon transfert à SEGBANA (la prison souterraine, réputée du nom). Je n’ai plus compris pourquoi ça n’a plus eu lieu.

Les conditions de détentions étaient telles que l’existence n’était pas la peine. Les visites sont permises tout juste pour faire souffrir moralement les nôtres. Ils leur permettent de venir nous parler et nous informer de la santé des nôtres pendant seulement trois (3) minutes au plus. Ce temps excédé, c’est des menaces, des injures. Un jour, l’un de mes frères a été giflé parce qu’il me faisait le compte rendu des cérémonies de libération de ma cousinee, l’état de santé de mon papa qui devait subir une intervention chirurgicale ; il y a un ami qui est gardé avec nous de 18 heures 30 à 23 heures 15 sur ordre du commissaire de Zongo lui-même , pour nous avoir rendu visite

On se lave tous les matins à 6 heures 30 quel que soit le temps qu’il fait. Il faut une corruption ou des supplications intenses avant qu’on ait de l’eau à boire notamment quand l’effectif du violon atteint 20. Si jamais on atteint cet effectif, c’est que les détenus (de droits communs, rafflés et politiques) se couchent à champ tête contre pieds ou assis. C’est l’enfer même.

Sur les demandes et les démarches de mon père, j’ai été déplacé du commissariat de Zongo à la salle trafic du commissariat central de Cotonou le 10 Août 1990. Là, il y avait aussi d’autres détenus tels que : ABDOU Imorrou, DJOKO Edmond, GANDAHO Florentin, un certain Anicet, professeur au CEMG de Zogbo.

C’est ainsi que commença une nouvelle vie déplorable. On se lave une fois tous les 6 ou 7 jours en 3 minutes bien comptées. Cette durée excédée, c’est avec des coups qu’on sort de la douche. Pour les visites, cette fois-ci, il y avait assez de temps, seulement l’assistance d’un agent est obligatoire. Dans la cellule, il y avait des mouchards qui écrivaient, faisaient des rapports sur notre comportement en détention. C’est le jour même où on avait voulu battre un certain SEIGNI Théophile qui était l’un de ceux-ci parce qu’on avait contre lui une preuve qui est le brouillon d’une lettre adressée au section au sujet des dires de Monsieur Edmond DJOKO qui était le jour du ouf, le jour le plus attendu, le plus souhaité, le jour de ma libération qui est le 22 Août 1990. C’était la joie dans tous les coeurs et c’est ainsi qu’à pris fin les jours de taule.

Cotonou, le 26 Août 1990.

ALOFA Pierre Bruno

Né le 08 juillet 1966

Profession : Etudiant

Date d’arrestation : 9 Janvier 1989

Date de libération : Septembre 1989

Centre de détention : PLM Alédjo de Cotonou

Le Lundi 9 Janvier 1989 alors que je me rendais au Campus d’Abomey-Calavi, j’ai été intercepté et conduit au S.D.I. (Service de Documentation et d’Information) d’où j’ai été envoyé, les deux poignets de main menottés, au Camp PLM Alédjo de Cotonou. Sans être interrogé, l’ordre était donné de me bastonner. J’ai donc subi à partir du premier jour des tortures physiques de la part des gorilles du PLM au nombre desquels je reconnais :

 DJIDONOU Anatole (1ère classe), celui qui me fait manger plus tard une poignée de piments mûrs.

 GBEVONON Charles (1ère classe), qui me contraindra en présence des autres militaires à avaler un demi-plat de riz pourri de plusieurs jours, qui me fera boire par surcroit l’eau issue de la mise au propre du bol qui contenait ce riz pourri et pour comble de malheur me fera avaler du sable fin cristallin du fait de quelques gouttes d’eau nauséeuse tombées par terre.

 ADANGNIKON Tohouégnon (1ère classe) qui s’illustre dans les corvées de forage de trou avec toujours pour compagnon bien sûr son Kalachnikov, mais son gourdin, sa chicotte. L’homme de toutes les corvées, et plus précisément des travaux forcés.

Le sergent Sènagnon OKE, tortionnaire en chef, le sergent-chef GBESSA terroriste et violent comme OKE, tortionnaire distingué, l’adjudant-chef KPADONOU, le dauphin du capitaine TAWES Pascal, pour ne citer que ceux que j’ai rencontrés sur mon passage.

Certes, j’ai été arrêté par le sergent AVENON Coovi Bernard qui par surcroît avait donné l’ordre aux soldats du PLM de me lincher.

En tout cas pour les 8 mois passés au PLM, je me suis beaucoup senti proche de l’enfer. C’est la terreur, les tortures physiques et morales : intimidations, menaces, travaux forcés (forage de grands trous, arrosage de plantes, lavage de WC, contrainte de rester dans un cachot tantôt éclairé avec la puanteur des gaz issus des urines et matières fécales faites dans le même cachot, etc... bref, toutes les conditions qu’il faut pour tuer un homme. La faim était d’ailleurs au rendez-vous.

Encore une fois donc, les SOGLOHOUN Jérôme, les TAWES Pascal se sont illustrés à travers leurs agents exécuteurs dont je ne saurais donner ici la liste exhaustive comme des bourreaux et des suppôts de l’arbitraire du général Mathieu KEREKOU. Je demande réparation pour tous les préjudices subis et le jugement des tortionnaires.

COTONOU, le 20 Avril 1990.

ASSOU Koffi André

Date d’arrestation : 02 Mars 1981

Date de libération : 1er Août 1984

Centres de détention :

Compagnie Républicaine d’Intervention (C.R.I.) , etc...

Arrêté dans la nuit du 03 Mars 1981 par quatre (4) hommes dont trois armés de Kalachnikov, j’ai été embarqué dans une volks-wagen à coups de crosses , de canon, de godasses et amené à la Compagnie Républicaine d’Intervention (C.R.I.). Quelques minutes plus tard, ils amèneront Didier d’ALMEIDA. Ils informent leur chef qui a fait le déplacement cette nuit-là pour nous interroger.

L’interrogatoire a eu lieu dans son bureau et était entrecoupé des séances de tortures avec comme moyens utilisés : lanière, matraque, coups de poings, de godasse, etc... Pendant la torture, un policier avait cassé l’ampoule lumineuse avec son bâton. La torture se poursuivait dans l’obscurité jusqu’à ce que Commissaire fasse allumer une veilleuse.

Malgré notre état de faiblesse générale, les douleurs dans le corps, une entorse à mon bras gauche survenue au cours des tortures, les flics nous ont soumis à des travaux forcés dans la journée du 03 Mars. Le lendemain matin c’est-à-dire le 04 Mars 1981, on nous déporta avec sept (7) autres camarades (Félix DOSSOU, Appolinaire SODJO, André HOUNGNIBO, Jérôme HOUESSOU, Raphaël DJEGUI, Grégoire ALLEY et Moïse SEDJRO) par un avion militaire pour nous détenir au secret.

Les contacts mêmes entre détenus étaient interdits, chacun était dans sa cellule. Quelques semaines après, les autorités du Camp militaire de BEMBEREKE nous déplacèrent pour une vieille batisse où des reptiles logent, aggravant ainsi l’insécurité dans laquelle nous étions gardés. Nous étions enfermés 24 heures sur 24 dans nos cellules. Conséquences : dépigmentation, maux d’yeux, lesquels se sont aggravés au niveau de notre camarade Didier d’ALMEIDA actuellement au Sénégal pour les soins.

Nous étions privés de douche des jours entiers, privés de soins en cas de maladies, contraints de faire des toilettes dans nos cellules. Des odeurs puantes, nauséabondes rendaient invivable l’intérieur de nos cellules.

Le 04 Mars 1981, jour de notre déportation, KEREKOU prenait une mesure anti-sociale, suspendant les salaires des travailleurs qui étaient parmi nous, envoyant par la suite un message aux autorités du Camp interdisant de nous nourrir. L’application de ces mesures a aggravé davantage les problèmes de survie tant au niveau des familles des camarades travaillants, qu’au niveau de nous qui sommes en déportation ; les différentes manifestations de protestation de notre part ont été suivies de mesures d’endurciseement : privations, coup de crosses, de godasses dans le dos ou les jambes pendant les corvées d’eau, dispersion des détenus pour éviter de nouvelles protestations.

Cette dispersion interviendra sur l’ordre de l’officier LALEYE Ibitotcho, actuel Ambassadeur du Bénin à Moscou. Les frais de notre détention de près de quatre (4) ans ont été supportés par les parents, amis et organisations humanitaires.

L’Amnistie du 1er Août 1984 nous remettait en liberté.

Le 30 Septembre 1985, plus d’une cinquantaine de militaires débarquèrent la nuit chez moi à 2 heures du matin. Ils arrêtèrent l’Agent du Ministère de la Santé Antoine Yaovi FANTODJI qu’ils libérèrent dans la même journée.

Ayant pu éviter ce coup de filet ce jour-là, j’ai vécu des mois en semi-clandestinité.

ATINDEHOU Marcellin

Né le, 09 Janvier 1957 à Sébrohoué (Mono)
Date d’arrestation : 03 Juillet 1988

Date de libération : 23 Mars 1990

Centre de détention : Brigade d’Abomey,

D.S.U.C. et Camp Guézo,

Camp Séro Kpéra,Camp Commando de Bembèrèkè.

Abomey : Arrêté le 03 juillet 1988 à Abomey et gardé à la brigade de la compagnie du Zou par le capitaine OGOUCHOLA Dossou Irénée et sur ses instructions, j’étais enfermé dans une cellule ; menoté par derrière et à poils.

Le 04 juillet matin, c’était l’interrogatoire ; comme ma déclaration compromettait le capitaine OGOUCHOLA, le capitaine chargé de m’écouter allait lire mes réponses à ce dernier pour qu’il vienne faire pression sur moi pour que je change d’avis. Comme je ne changeais pas, ce dernier a commencé par le torturer. Etant menotté par derrière, et sans chemise, ce capitaine a eu le temps de me boxer partout et surtout le visage. A la fin de l’interrogatoire tout mon visage était en sang et mon nez déchiré (Je porte les séquelles jusqu’à ce jour).

Cotonou : 1° D.S.U.C. :48 heures passées dans la cellule II du commissariat menotté et sans être nourri.

2° - Camp Guézo : 21 jours passés dans une douche.

Parakou : Deux jours après mon arrivée à Parakou, j’étais soumis à un régime spécial ordonné par les autorités de la C.N.P.E.S.E. : J’ai droit à un repas après 48 heures. Cela dépend de comment la garde a compté les 48 heures. Si cela finit un matin, j’ai droit au café, si cela finit à midi ou le soir, j’ai droit au repas du moment.

Le 14 Août 1988, jour du Rodéo, ordre donné par ZINZINDOHOUE. Dans un premier temps on m’a ligoté par du fil à courant ; dans un deuxième temps, c’est la bastonnade avec des fils à courant jusqu’au moment où ils ont constaté que tout mon corps était à sang et que je ne bougeais plus. Dans un troisième temps, quelqu’un d’entre eux a constaté que le sang ne circulait qu’au niveau de la cheville compte tenu de la façon dont ils ont ligoté les pieds et ils ont enlevé le fil à courant pour me ligoter à nouveau. Cette fois-ci c’est, des pieds à l’épaule avec une corde en nylon d’une longueur de 26 mètres (J’ai su la longueur du moment où la garde faufilait la corde). Je suis resté dans cette corde pendant 48 heures. Après les 48 heures, je suis transféré au Camp de Bembèrèkè.

Bembèrèkè : Au Camp de Bembèrèkè on m’a logé dans une cellule de 2m/1m environ aménagée sous un escalier ; dans laquelle on y logeait les moutons. Il a fallu mon arrivée pour qu’on enlève les moutons et leurs escréments pour m’y loger pour une durée d’un mois et demi sans me soigner malgré les blessures que je portais sur le corps. Après cette durée, je suis ramené à Parakou.

A nouveau à P.K. : sur une durée de 2 semaines, je me couche en menottes et en slip : c’est-à-dire qu’à 18 heures la garde me met les menottes et les enlève le matin à 7 heures ou 8 heures selon l’humeur du chef de garde.

BAPARAPE Aboubakar

Né : 23 Janvier 1952 à Kouandé
Profession : Etudiant

Demeurant à : BP 03-0958 - Cotonou

Date d’arrestation : 18 Février 1986

Date de libération : 2 septembre 1989

Centres de détention : Camp Séro Kpéra de Parakou

Prison Civile de Ségbana

Ce mémorandum qui présentera de façon détaillée les nombreuses persécutions, arrestations, tortures et sévices morales et corporelles dont j’ai été personnellement victime de la part des sbires de KEREKOU comportera trois volets :

 la période de 1980-1984

 de mai 1985 au 19 février 1986

 du 19 février 1986 au 2 septembre 1989

PERIODE DE 1980-1984

Nous étions au début de l’année scolaire 1980, au lendemain de la première puissante grève estudiantine qui avait alors secoué le régime autocratique de KEREKOU en 1979. Les arrestations massives d’étudiants et la chasse aux sorcières qui avaient été déclenchées à cette occasion, s’étaient poursuivies avec un zèle ignoble par la police secrète de KEREKOU jusqu’en 1980 et au delà.

Au nombre des étudiants à traquer et à arrêter figurant sur la liste noire de la police se trouvait mon nom.

La preuve de mon affirmation a été donnée par la descente matinale qu’a effectuée la police à mon domicile le 11 mai 1980 à 6 heures du matin pour m’arrêter. Par bonheur, je n’avais pas passé la nuit chez moi. J’avais ainsi échappé de justesse à l’arrestation. Mais mon jeune frère qui était avec moi a payé pour moi, car il fut emporté manu-militari par les deux agents et un civil qui étaient arrivés, ce, malgré ses véhémentes protestations.

PERIODE D’AVRIL-MAI 1985 au 19 FEVRIER 1986

Suite aux troubles d’avril-mai qui ont secoué tout le pays en 1985 par le déclenchement de la plus puissante grève scolaire et estudiantine ponctuée de l’insurrection scolaire du 6 mai 1985, le pouvoir a réagi avec une brutalité sans précédent.

Entre autres mesures barbares prises, le Président de la République avait personnellement décrété l’arrestation spéciale de cinq des onze responsables élus du Bureau Exécutif de la Coopérative Universitaire d’alors. Considérés par le Président de la République comme les principaux meneurs du mouvement, les cinq dont je faisais partie, feront l’objet d’un mandat d’arrêt public et d’un avis de recherche spécial par voie d’affiche à travers tout le pays et par l’ensemble des unités de l’Armée (Police, Armée, Gendarmerie etc...). Pour ce faire nos noms seront largement diffusés à la Radio où nous étions traités de tous les noms les plus offensants et les plus humiliants. Nos photos seront publiées par le quotidien EHUZU (conf. EHUZU du 8 au 9 mai 1985) et diffusées partout dans les services publics où elles ont été affichées.

Mes parents étaient systématiquement l’objet de tracasseries policières voire d’arrestations.

1°) Ainsi courant 1985, mon père au nom de El-Hadj Ismaïla BAPARAPE un instituteur en retraite à PEHUNCO a été l’objet de perquisition, d’interpellation et de plusieurs comparutions devant une commission d’enquête présidée par Monsieur Albert WASSA et dont était membre Monsieur Bernard SINDJALOUM, membre du Comité Central du Parti de la Révolution Populaire du Bénin, KOUNDE Alphonse 1er Vice Président C.E.A.P. et Soulé MOUSSA, Préfet de la Province de l’Atacora.

Cette commission avait été constituée sur ordre express du Président de la République suite à un rapport de l’ex-chef de District de PEHUNCO, Monsieur TCHENA Théodore qui lui était parvenu et selon lequel mon père m’aurait hébergé clandestinement, et qu’il aurait secrètement organisé mon évacuation sur le Niger.

C’était donc un crime grave qu’il fallait châtier s’il se révélait effectivement que mon père m’avait porté assistance pendant que j’étais officiellement et publiquement menacé d’aller au peloton d’exécution.

Faisons remarquer que ces allégations du fameux Chef de District étaient fausses et mensongères. La commission ne pouvait donc conclure qu’à un non-lieu.

2°) Outre mon père, un de mes frères Monsieur Omar BAPARAPE, Agent des Forces de Sécurité publique à SINENDE en 1985 fut interpellé et menacé de radiation par son chef de District, s’il se révélait qu’il savait là où je me trouvais.

3°) BAPARAPE Arouna a été arrêté à NATITINGOU.

Tous mes autres parents connus ont été l’objet d’une surveillance spéciale de la part de la police.

PERIODE DE 1986 au 2 SEPTEMBRE 1989

La date du 18 Février 1986 sera la date ultime de mes dix mois de clandestinité depuis mai 1985. Car cette date fut celle de mon arrestation.

a) De mon arrestation.

En effet, par l’après-midi du mercredi 18 Février 1986, sous un soleil viril malgré les 16 heures et poussière de marche qu’il venait de consommer, une voiture 504 break et 404 bâchée vinrent garer près de ma cachette.

Ce mouvement aussi insolite qu’inquiétant de voitures devant mon portail n’était rien d’autre que la police qui ne tarda pas à s’annoncer bruyamment.

L’un des officiers, Alexis BABALAO chef du convoi, commença à hurler mon nom "BAPARAPE Aboubakar, rendez-vous, vous êtes encerclé ! Ne tentez pas de fuir sinon vous êtes un homme mort. Nous avons mission de vous amener mort ou vif !..."

La panique soudain s’empara des femmes de la maison qui commencèrent à crier au secours. La horde de militaires armés jusqu’aux dents pénétra sans ménagement dans les chambres pour procéder aux fouilles.

Ne pouvant plus sortir par la porte, j’escaladais la fenêtre de ma chambre après avoir écartelé les barreaux qui la défendaient. J’engageais ma tête la première et le reste de mon corps suivit.

Ayant été alertée par un bruit sec causé par ma fuite, la horde se précipita dehors pour me barrer la route et empêcher ma retraite.

Un combat corps à corps s’engagea entre les officiers, le lieutenant Alexis BABALAO, le capitaine de gendarmerie GBONSOU Armand, le sous-officier sergent AGBLO Simon, leurs hommes et moi. L’élimination de mon passage après un bref et rapide corps à corps des deux officiers et du sergent ne résolut point mon problème. Je fus attrapé par un soldat de qui je me défis par un direct au visage, puis d’un autre que je roulai à terre avant d’être maîtrisé par les autres militaires qui me saisirent tous à la fois.

Mon arrestation venait d’être consommée. Les soldats commencèrent à me rouer de coups et d’injures grossières, offensantes et humiliantes.

Le capitaine GBONSOU ordonna de m’enchaîner, ce qui fut fait. Mais il ordonna aussi l’arrêt immédiat des brutalités sur ma personne. Car disait-il, il fallait m’amener vif et non mort. Je fus alors embarqué dans la 504, sévèrement encadré par les soldats armés. Etaient également à bord les officiers GBONSOU capitaine, le lieutenant BABALAO, les sous-officiers Simon AGBLO sergent et un adjudant qui serait le chef régional du Petit Palais, la S.D.I. dans le temps à Parakou.

Le convoi s’est alors ébranlé à destination du Camp Séro Kpéra siège de la fameuse Commission Nationale provisoire d’enquête de la Sécurité de l’Etat "qui sera transformée en commission permanente (CNPESE)" et dont le président était le tortionnaire commandant Clément ZINZINDOUHOUE. Ce camp était pour la circonstance transformé en un camp de concentration et en un haut lieu de la torture. Bref un "Camp Boiro"

Dès notre arrivée au Camp Séro Kpéra, je fus immédiatement introduit dans le bureau du commandant ZINZINDOHOUE (actuellement lieutenant-Colonel en retraite) pour y subir un interrogatoire.

b) de mon interrogatoire

D’entrée de jeu, le commandant ZINZINDOHOUE me lut le décret par lequel le Président de la République crée la commission et l’en nomme président. Pour la circonstance, les membres de la commission présents à Parakou étaient réunis au grand complet dans le bureau du commandant qui me les présenta tour à tour.

Y étaient donc présents, outre le Colonel lui-même :

 le capitaine BABALAO Alexis (lieutenant à l’époque) rapporteur de la commission

 le capitaine GBONSOU Armand (membre)

 le commissaire CHABI Guy (membre)

 le lieutenant LOKOTO (membre)

 l’officier de police YABARA (membre)

 un adjudant chef régional du S.D.I. dont j’ai oublié le nom

 puis le sergent Simon AGBLO

J’ai été par la même occasion informé par le colonel de l’absence du vice-président de la commission, le capitaine Fousséni GOMINA en mission.

Puis débuta l’interrogatoire à proprement parlé. Entre temps, mes mains ont été libérées de leurs chaînes. Après une pluie de questions auxquelles je refusai de répondre, le commandant se redresse brusquement, rouge de colère. Il me pointa du doigt en disant : "Mon pauvre petit, vous faites le héros, cela ne servira à rien. Vous n’avez pas voulu qu’on vous traite à la douce. Eh bien ! nous utiliserons les moyens qui nous sont propres pour vous faire parler. Si vous croyez qu’ici nous plaisantons, vous vous trompez. Vous allez vous faire tuer pour rien. Vous allez parler tout à l’heure".

C’est ainsi qu’il mit fin à cet interrogatoire qui dura 45 minutes environ. Puis, il ordonna de m’enchaîner et de me faire un rodéo premier degré.

Rappelons qu’à notre entrée au camp, j’y avais trouvé une agitation et une excitation très impressionnante au niveau de tous les militaires dont l’écrasante majorité délirait de joie.

A l’entrée des bureaux de la commission trônait une impressionnante montagne de chicotes, de bâtons et de lanières.

Aussitôt après l’ordre impératif du commandant, je fus pris en compte par les soldats fulminant d’une joie sadique et haineuse. Ils m’ont contraint à me déshabiller pour rester seulement en slip. Je fus ensuite enchaîné et ligoté aux mains. Car prétendaient-ils je serais très très dangereux. Tout était donc prêt pour les séances de tortures appelées rodéos.

Je vous fais grâce de toutes les insanités très offensantes dont j’ai été l’objet de la part des soldats depuis mon entrée au camp. Enfin, cela n’est rien face aux atroces et horribles tortures dont voici le déroulement.

c) De la séance de torture

Le rodéo

Après avoir été mis torse nu, l’équipe de rodéo d’une vingtaine de membres environ, armée de bâtons, de chicotes, de barres de fer, d’antivol des vélomoteurs, de câbles, de fouets avec bouclettes etc... l’ordre me fut intimer d’avancer.

Je fus conduit dans une baignoire d’eau boueuse très infecte où je fus précipité la tête la première. Je fus maintenu dans cette eau pendant quelques minutes avant d’en être ressorti. A peine ma tête émergea-t-elle de l’eau que je fus accueilli par des coups de chicotes et des injures obscènes de toute sorte. Je fus retiré de la baignoire puis conduit à un endroit caillouteux et plein de graviers.

Je fus contraint de me mettre à genoux et de marcher (sur les genoux) sur les pierres et le gravier. Pendant ce temps, les coups pleuvaient, on me chutait au ventre et aux côtes avec les rangers (souliers militaires). Ensuite, je fus contraint de ramper avec les coudes sur les cailloux et le gravier. Puis il fallait rouler (roulade avant et arrière) puis latéralement le corps à même le sol.

Au moment où l’équipe de rodéo était déchaînée sur moi, le lieutenant AGONKAN Alphonse qui dirigeait personnellement la séance assisté du lieutenant BABALAO me posait des questions. Ils voulaient coûte que coûte m’extorquer des aveux sur mon appartenance au P.C.D. et m’obliger à dénoncer mes compagnons de lutte.

Mon mutisme et mon attitude de glace face aux questions et aux tortures déchaîna davantage les ardeurs bestiales des tortionnaires. Les coups pleuvaient sur mon corps déjà en lambeau et ensanglanté avec un zèle redoublé. Je restai ferme et imperturbable, encaissant stoïquement les coups sans broncher. Car je ne voulais pas dans ce duel inégal certes, offrir le plaisir à mes bourreaux de m’entendre crier et gémir.

Face à ma ténacité, le lieutenant AGONKAN ordonna d’arrêter. Mais c’était pour me poser des questions et me proférer des menaces de mort, si je continuais de les défier et de les narguer "un anarcho-gauchiste de moins et le pays est sauvé du désordre. Si je veux faire le héros, je serai brisé et réduit en poussière. Car ici disait-il on réduit les durs en bouillie et on durcit les mous etc..."

Et de me demander si je voulais parler. Je dis oui ! Mais devant les juges et en présence de mon avocat. Il rit d’un rire sadique.

Où les verras-tu ces gens-là ? Dans ton tombeau ? Tu es rigolo toi !

Puis il ordonna la poursuite des bastonnades. Les coups pleuvaient partout, sur ma tête et sur mon corps. Mon oeil droit saignait abondamment. Tout mon corps ruisselait de sang. Après plus de deux heures de tortures sans résultat, je fus ramené dans la baignoire toujours roué de coups. Je fus replongé dedans plusieurs fois avant d’en être ressorti. Je fus reconduit à l’endroit du rodéo. Là je refusai catégoriquement d’exécuter le moindre ordre.

Plus question de roulade ni de reptation. Je restai assis mes bras sur la tête pour protéger ma tête et le seul oeil qu’il me restait.

Mon corps était devenu insensible aux coups qui continuaient de pleuvoir avec une rare violence. Mon impassibilité face à leur déchaînement inquiéta les officiers de la commission qui observaient ou plutôt supervisaient la séance à distance (3 mètres environ). Ils ordonnèrent la suspension de la séance, estimant que la violence ne me ferait pas céder. Je risquais de mourir sans rien leur livrer. BABALAO Alexis et YABARA ordonnèrent à AGONKAN Alphonse de cesser et de me conduire dans son bureau (AGONKAN était le B.G. du camp de Parakou, responsable du bureau de garnison (BG) en attendant l’arrivée du comandant ZINZINDOHOUE. Mais celui-ci ordonna de m’enfermer dans un W-C. Je fus enchaîné aux pieds, mes mains étant déjà enchaînés depuis le début de la séance de rodéo, et précipité dans le W.C. par les soldats qui ne tarissaient pas d’injures contre moi.

Aucun soin ne m’a été prodigué avant l’arrivée du commandant. A son arrivée, je fus conduit dans son bureau. Là il ordonna de me faire des attouchements à l’alcool sur les blessures. Ce qui fut fait. Puis après l’interrogatoire reprit. Cette fois-ci, ils étaient à deux BABALAO et lui.

Après un long interrogatoire, assorti de confrontations avec d’autres détenus, je fus conduit dans une cellule.

En dehors de la teinture d’iode, je ne reçus plus de soins contre mes blessures du corps et celles de mon oeil droit qui était contusionné et sérieusement enflé. Je ne voyais plus qu’avec un oeil.

Avant donc d’aborder le problème des soins dans le sous-paragraphe qui suit, je me ferai le devoir d’indiquer le nom du plus célèbre et du plus zélé des tortionnaires mis à part les officiers susmentionnés : il s’agit de Théophile SOSSAMINOU qui, comble de l’ironie était un infirmier de la Garnison de Parakou à l’époque. C’est un véritable sanguinaire, un fauve à peau humaine. Aucune tolérance ne doit l’épargner.

d) Des problèmes de soins

En effet, suite aux incidents violents survenus entre une de nos visiteuses, Mademoiselle Bertille HOUNKPATIN, fiancée de Grégoire KPEKPEDE et un soldat, le commandant ZINZINDOHOUE avait ordonné de nous "roder".

Les faits

Mademoiselle Bertille était arrivée de Cotonou apporter sa tendresse et son amour à son fiancé en détention.

Un jour, elle fut interceptée par un soldat qui la somme de faire demi tour pour saluer un adjudant. Celle-ci s’y opposa fermement. Alors elle fut brutalisée, battue, et la nourriture qu’elle apportait à son fiancé renversée.

Notre réaction fut unanime, car c’est sous nos yeux et notre barbe que cette brutalité a été exercée sur la fille. Nous nous sommes soulevés, ce qui était un crime punissable pour le commandant ZINZINDOHOUE.

Il fit mobiliser les équipes de rodéo armées de bâtons, de chicotes et de fouets.

Nous fûmes conduits sur le terrain de sport. Et sous la direction du lieutenant AGONKAN et du capitaine GBONSOU, les séances de tortures commencèrent. Nous fûmes battus sans ménagement à tour de rôle. Puis nous fûmes obligés de faire plusieurs tours de terrain avant de regagner nos cellules.

Comme mesures d’accompagnement, la fille fut aussi rodée. ZINZINDOHOUE ordonna de nous enfermer pendant deux semaines dans nos cellules. Nous ne devons en sortir que pour faire nos besoins urgents.

 Les visites furent supprimées pour deux semaines.

 Mademoiselle Bertille fut interdite de séjour à Parakou jusqu’à nouvel ordre.

Avant d’aborder les péripéties de ma déportation à la Prison civile de Ségbana, je dirai un mot sur mon isolement.

e) De mon isolement

Après les tortures et les interrogatoires infructueux, je fus maintenu dans l’isolement total, enfermé 24 heures sur 24 dans ma cellule pendant cinq mois, de février à juin ! sans contact avec l’extérieur. Les visites de mes parents me sont systématiquement refusées. Et j’étais sévèrement gardé par six soldats qui ne manquaient aucune occasion pour commettre des exactions contre ma personne.

C’est dans le courant du mois de juin que suite à mes protestations, l’autorisation m’avait été faite de prendre de l’air devant ma cellule de 7 heures du matin à 18 heures le soir. Puis le 31 juillet 1986, le commandant ZINZINDOHOUE mit fin à mon isolement en ordonnant mon transport parmi mes camarades codétenus.

Mon séjour parmi eux durera sept mois soit du 31 juillet 1986 au 7 mars 1987, date de ma déportation sur Ségbana.

f) De mon séjour à Ségbana

Mon séjour à la Prison civile de Ségbana a été marqué par une foule innombrable de vexations, de tracasseries et de sévices morales de la part de nos geôliers dont il serait vraiment laborieux de faire le récit détaillé dans le présent document. Je résumerai donc le tout en quelques mots en faisant ressortir les éléments essentiels susceptibles de vous instruire :

 un isolement total et absolu du monde extérieur

 l’interdiction absolue pendant trois ans (du 6 novembre 1985 date d’ouverture de la prison au 20 août 1988) de toute visite de nos parents

 le refus obstiné du colonel ZINZINDOHOUE de nous évacuer sur des centres hospitaliers appropriés pur nos soins graves

 et enfin par une insuffisance notoire de la nourriture de qualité douteuse qui nous était servie. Voilà les conditions difficiles dans lesquelles mes camarades et mois avions vécu dans des cellules exiguës et infectes sans aération, de la prison civile de Ségbana.

Je vous remercie.

P.S. : Ma soeur Hawaou BAPARAPE Epouse El Hadj Amouda Transporteur à Parakou avait été arrêtée et écrouée pour 3 jours au camp Séro Kpéra, le 19 février 1986 en même temps que moi, parce qu’elle m’avait hébergé lors de mon passage à Parakou.

Son mari aurait versé une forte caution au colonel ZINZINDOHOUE avant qu’elle ne soit mise en liberté provisoire.

N.B. : Ci-joint une pièce à conviction de mes tortures.

BONOU épouse HOUEDETE Antoinette

Née le 13 Juin 1953 à AGONLIN-HOUEGBO
District de ZANGNANADO

Profession : Assistante sociale au Centre social de Cotonou IV

La maison est encerclée à notre réveil.

Nous sommes au petit matin du jeudi 31 octobre 1985.

Réveillée en sursaut par un grand bruit, je suis allée au salon d’où le fracas me semble provenir. Je jette un coup d’oeil par une fenêtre et vois un soldat. Il est assis sur le mur, entre le petit portail et le garage. Légèrement courbé, il a son fusil braqué sur les chambres (le bâtiment) et ses pieds sont posés sur les fagots de bois entassés contre le mur.

Affolée, je fais rapidement le tour des persiennes des autres chambres et me rends compte de l’événement : notre maison est encerclée !

J’ouvre la porte qui donne dans l’arrière cour et sors pour voir si ce côté aussi est gardé. Je me dirige vers le grand portail, je dépasse à peine le bâtiment et j’entends crier : "Ne bougez plus, sinon je tire". Je lève la tête et aperçois un soldat en position de tir sur le mur. Après quelques secondes d’hésitation, je rebrousse chemin et cours me renfermer dans la chambre. Sans plus tarder je réveille Thomas.

Je lui relate les faits et lui demande ce qu’on peut faire. Assis sur le lit, il me demande avec son calme habituel de voir s’il n’y a plus d’issue pour sortir de la maison. Je lui réponds que non et lui suggère de sortir pour tenter ou demander à ces hommes ce qu’ils veulent, mais qu’après tout, nous devons considérer qu’il est pris aujourd’hui et penser plutôt à mettre de l’ordre dans les chambres.

Il arrange son pagne de nuit autour de sa hanche et dit "je vais donc sortir, il ne faut pas t’affoler, garde ton sang froid". Il sort par la même porte où j’ai passé et la referme. Il était 5 heures 20.

L’arrestation de mon mari et mes sévices endurés

1°) Arrestation de Thomas

Aussitôt la porte fermée, j’entends : "qui va là, ne bougez pas". A travers les persiennes, je vois des soldats armés descendre des murs, d’autres affluer de derrière la maison. Un homme en tenue civile a escaladé le mur, près du W-C. et commence à parler à mon mari.

 "Qui êtes vous ?"

 "HOUEDETE Thomas, Professeur à l’U.N.B. ", répondit-il.

 "Vous êtes chez qui ici ?" continue l’homme.

 "Je suis chez moi-même" dit-il

 "A qui appartient cette maison" demande de nouveau l’homme.

 " Je suis HOUEDETE Thomas, ici c’est ma maison. Que me voulez-vous à cette heure-ci ? " reprend-il.

Comme un éclair, l’homme lui assène une paire de gifles, lui saisit les bras et une horde de militaires l’entoure. J’entends crier "c’est lui". Ils l’entraînent hors de la concession par le grand portail.

2°) Le premier temps de sévices

Après avoir emmené mon mari, ils ont procédé aux fouilles dans la maison et nous ont beaucoup malmenés. Au moment où ils franchissent le portail, six d’entre eux se détachent de l’escorte, courent vers ma chambre et se ruent sur la porte en criant "ouvrez, ouvrez, sinon on défonce".

J’ouvre la porte et tous m’assaillent à l’intérieur. Ils braquent leurs fusils sur moi et demandent : où est madame ? Je leur réponds que c’est moi. "Où sont vos hôtes, ceux que vous avez hébergés" questionnent-ils. "Qui ? Nous n’hébergeons personne" J’ai à peine prononcé cette phrase quand j’entends l’homme en civil lancer : "Prenez la en charge" Deux d’entre eux m’appliquent deux paires de gifles qui me font fermer les yeux et crisper les mâchoires. " Ouvre-nous les chambres, où sont les clés ? " ajoutent-ils. Je leur réponds que nous ne fermons pas les portes, qu’ils peuvent aller voir eux-mêmes. Ils me saisissent le bras et je les amène inspecter toutes les pièces.

Après avoir fouillé partout dans les chambres, ils traînent dans la cour du côté de la cuisine et commencent par me couvrir de coups, les gifles affluent de quatre hommes dont celui en tenue civile. Il est de taille courte pas trop corpulent, teint clair, avec une cicatrice sur la joue gauche.

Voilà tel que je l’ai décrit dans le petit rapport remis au DP-TAS Atlantique le mardi 5 novembre 1985 pour justifier mes quatre jours d’absence au service. Je n’ai su qu’il s’appelle BABALAO Alexis que vers fin novembre 1985 quand il a ramené Thomas à la maison pour une enquête.

BABALAO Alexis est donc le chef. Il donne l’ordre et l’exécute en même temps que les autres. Tous me tabassent longtemps pour m’obliger à :

 reconnaître qu’il y a une fille qui tape à notre portail tous les matins à 6 heures et qui repart de la maison à 22 heures à mobylette et porte des lunettes

 accepter de les accompagner chez un certain oncle paternel de Thomas domicilié à Agla

Je leur explique qu’il n’y a que la dame qui m’aide dans le ménage (la bonne) qui tape au portail à cette heure là. Elle loge non loin de notre maison chez sa soeur jumelle. Moi-même je porte des lunettes et rentre tard du service à mobylette. Quant à l’oncle, celui que je connais réside à Aïdjèdo à Cotonou V et s’appelle HOUEDETE Michel.

Cette réponse ne les satisfait pas. Le lieutenant BABALAO me place encore deux gifles en ricanant et demande aux autres de me prendre en charge. Il rentre ensuite dans les chambres et fait sortir Edith et se met à la rudoyer. Il la gifle et la fait sortir de la maison. L’enfant crie et m’appelle. Dehors BABALAO la chicote et lui pose les mêmes questions. Elle dit qu’elle ignore l’oncle et l’emmène chez la soeur de la bonne.

Ils (les soldats) encerclèrent la maison de celle-ci et font "haut les mains" à son mari. Il répond à leurs questions pour dire qu’il ne connaît pas mon mari. Il leur indique la couchette de la bonne et ils sont allés la réveiller. Celle-ci leur sert les mêmes explications que nous et BABALAO lui demande de venir travailler comme d’habitude, de ne pas avoir peur.

Quand Edith m’appelait au secours, je lui ai répondu, je lui demande de ne rien dire. L’un des militaires m’applique une claque et m’intime l’ordre de me taire, de ne pas alerter les gens du quartier. Je commence à saigner des lèvres et des gencives. Les autres soldats touchés par son geste, s’éloignent de nous et vont, les uns s’adosser aux murs, les autres s’asseoir sous la véranda. Sur ma demande ils m’autorisent à aller m’asseoir sous la véranda et allaiter ma petite qui pleure.

Quelques minutes après, BABALAO revient avec Edit qui est toute crispée. A sa vue un soldat se précipite pour m’arracher l’enfant qu’il remet à mon neveu près de la porte du salon et lui dit d’aller à l’intérieur. Tous se regroupent auprès du chef.

"Est-ce qu’elle a parlé" demande ce dernier

"Non, non lieutenant" répondent-ils en choeur.

Alors le lieutenant BABALAO me regarde et déclare : "Madame, tu ne veux pas nous dire la vérité ? Ton enfant aussi a dit que c’est la bonne qui vient taper à 6 heures. Nous allons attendre jusqu’à 6 heures, si elle ne vient pas, tu auras chaud, on va te tuer s’il le faut".

"Il est six heures ", réplique une voix, " nous attendons jusqu’à et dix ", dit le lieutenant.

Quelques minutes passées, nous entendons taper au portail. Ils courent l’ouvrir : c’est la bonne qui rentre, un grand soulagement pour moi ! BABALAO me refuse de l’aborder et lui intime l’ordre de se mettre au travail. Comme une habituée, elle vaque à ses occupations dans la maison. Le lieutenant n’a plus de raison immédiate pour me frapper. Il me demande alors sur un ton câlin, de lui montrer là où mon mari a enterré les papiers. Il me traîne ensuite partout dans le carré sans détecter ce lieu. Nous sommes au niveau du W-C., quand un autre homme en tenue civile, élancé, teint clair, entre dans la maison avec une autre vague de soldats. Tous se mettent au garde à vous. L’homme demande s’ils ont trouvé quelqu’un dans la maison. Ils répondent tous que non. Il réclame la clé de notre voiture et inspecte l’intérieur, comme il n’a rien vu, il demande aux militaires de "replier".

Mais BABALAO insiste pour fouiller la maison. Après hésitation, le commandant ZINZINDOHOUE l’autorise à choisir ceux qui vont faire le travail avec lui. Il en choisit cinq dont un autre lieutenant en civil. Il ordonne ensuite aux autres de replier, et ils sont sortis.

Avant de partir, ZINZINDOHOUE me dit : "Madame, nous allons emmener votre mari pour lui poser quelques questions. Il faut prendre cinq pantalons, deux chemises et ses effets de toilette que vous allez mettre dans un sac de voyage que vous allez lui apporter". Je lui demande où je peux les trouver. Il me dit de lui envoyer le sac par les militaires qui sont restés pour fouiller la maison.

3) Le second temps de sévices

Le lieutenant BABALAO, après avoir fouillé vainement la maison n’a pas accepté son échec. Il m’a brutalisée et bastonnée à sang. Aussitôt après le départ du commandant, je rentre dans la chambre à coucher pour apprêter les choses. Mais BABALAO se plante devant moi et crie : "Ne touche à rien, c’est moi qui commande ici". Il m’invite à venir assister aux fouilles sur le bureau de mon mari, dans la bibliothèque et les chambres. Il veut que je lui montre là où mon mari cache les papiers ; ignorant les papiers dont il s’agit, je me tais pour ne pas recevoir d’autres coups. Mais mon silence n’arrange rien, il se jette sur moi, me bouscule violemment et je suis partie cogner ma tête contre le mur. Il me saisit le cou et cogne mon front contre la bibliothèque. "Montre-moi les papiers, les papiers te dis-je" grogne-t-il de nouveau.

Je ne ressens plus la douleur, la tête me tourne et mes oreilles bourdonnent. Je fais un effort pour crier : "Je ne connais pas de papiers, vous êtes dans la maison, fouillez tout". " Tu vas parler tout à l’heure ", me lance-t-il.

Se tournant vers les soldats, il dit : "Allez me chercher des chicotes". Deux soldats sortent pour exécuter l’ordre (ils ont tardé à revenir). Très fâché, BABALAO vide deux compartiments de la bibliothèque remplis de livres d’économie, d’oeuvre de MAO, MARX et d’autres livres sur l’Albanie. Ensuite, il rentre dans notre chambre à coucher et me demande de défaire le matelas et les oreillers pour lui faire sortir les choses cachées dedans.

Ne comprenant rien à son ordre, je ne réagis pas. Furieux, il me pousse et je tombe à genoux avec un mouvement violent de ma tête contre le sommier du lit. Il soulève le matelas, me saisit le cou et cogne de nouveau ma tête contre les traverses. Il pose le matelas sur ma tête et appuie dessus. Je me relève après, j’entends dire "Tu veux être femme Ministre, c’est pourquoi tu ne veux pas me montrer les papiers". Prise d’horreur par cette affirmation sans fondement, je n’ai pu m’empêcher de lui répondre : "Femme Ministre ? Je ne l’ai jamais souhaité".

"Tu penses que ton mari va revenir dans cette maison ? Il n’est pas béninois, il est dahoméen, donc sa place n’est pas ici". Après ces mots, il rejoint les autres près du bureau et réclame les chicotes. Les deux militaires, au cri du lieutenant courent de derrière les chambres, amener deux touffes de branches d’arbre.

"Arrose-là", dit-il en me doigtant. Voyant que ces derniers ne se décident pas à exécuter, il arrache la touffe des mains d’un soldat et demande à l’autre de le suivre. Il m’entraîne dans la cour derrière notre chambre à coucher (un petit verger) et m’ordonne de me déshabiller. J’enlève le pagne (de peur qu’il y découvre un noeud que j’y avais fait suite au rangement que nous avons fait). Il insiste que j’enlève ma robe de nuit (alors que je suis sans sous-vêtement) mais je refuse. Il prend ce refus pour entêtement et s’échauffe. Il se met à me chicoter et poser les éternelles questions. Je suis désorientée et ne sais plus quoi faire. Je me tournoie seulement entre lui et l’autre soldat, les coups pleuvent sans arrêt. Remarquant que le soldat me ménage un peu, il (BABALAO) lui arrache les touffes de branches et continue seul sa forfaiture. Il me tabasse des deux mains avec toutes ses forces. Je tombe et me relève, je suis tombée sur un jeune citronnier dont les épines sont rentrées dans ma peau et m’écorchent les bras et le dos. Je le supplie de me laisser vivre pour m’occuper de mes enfants, surtout la dernière que j’ai eu beaucoup de peine à mettre au monde.

Je vois l’autre lieutenant au seuil de la porte et l’entends dire "Camarade lieutenant, il faut la laisser, elles sont toutes pareilles, c’est leur mari qui les éduquent comme ça. Tu peux la tuer, elle ne va pas parler". BABALAO continue toujours sa besogne.

Pas une seule de mes supplications et lamentations ne le touche au coeur. Je sens mes forces m’abandonner, je ne sais plus à quel Dieu me vouer. Je me vois mourir sous les coups de cet homme enragé. Je ne sais plus ce qui m’arrive, puis soudain je me retrouve à genoux les mains levées au ciel en train de crier : O Marie sauve-moi et de réciter "Je vous salue Marie".

J’entrevois en ce moment la bouche de BABALAO remuer et le vois jeter les bâtons. Il dit quelque chose comme "lève toi imbécile" et je me lève. Je ressens une lourdeur dans tout le corps, j’ai partout sur le corps des traces de chicotes et de doigts. Mon corps saigne par endroits ;

Une fois dans la chambre, il me reposa encore les mêmes questions mais je ne lui réponds pas. J’ai voulu savoir ce que mon mari lui a fait. Il me répond en ces termes : "Ton mari est un communiste, nous, nous faisons le socialisme et eux parlent de communisme, si je ne le tue pas, c’est lui qui va me tuer. Je vais le tuer là-bas". Sur ce, il sort de la chambre à coucher et va regrouper les livres qui sont par terre. Il me demande un sac ou une bassine pour les mettre dedans pour les emporter. Je lui réponds que je n’en ai pas. Il se fâche , va dehors, prends ma corbeille à vaisselle, jette les plats et ustensiles qui sont dedans et vient la remplir des livres.

Il met ensuite le cassettes, les lettres et autres dans un sac. Il me demande après la clé de voiture pour transporter leur butin, mais j’ai fait semblant de ne pas la retrouver et ils l’ont cherchée en vain. Entre temps, le répétiteur des enfants (Félicien EYIYE) est arrivé et ils l’ont empêché de ressortir.

Voyant qu’il est décidé à emporter les livres, je le supplie de me les laisser, il se moque de moi et de me dit que je ne connais même pas leur valeur, que je cherche déjà à hériter des biens de mon mari, qu’il ne va pas me les laisser pour que j’aille les revendre à vil prix, histoire de récupérer une petite somme d’argent qui ne me suffira pas à nourrir les enfants pour deux jours.

J’insiste alors pour relever leurs titres, mais il répond qu’il n’a pas son temps à perdre et que d’ailleurs il ne peut pas venir chez nous et retourner bredouille. Il ordonne que deux soldats se chargent des fardeaux et désignent deux autres qui restent avec nous. Ceux-là reçoivent l’ordre :

 de nous empêcher (mes enfants, la bonne, le répétiteur et moi) de sortir de la maison jusqu’à nouvel ordre.

 de faire rentrer tous ceux qui viendront taper au portail et les retenir dans la maison

Au moment où il quitte la maison, il m’interpelle et dit : "Madame vous devez rester dans la maison jusqu’à nouvel ordre, les enfants ne doivent ni sortir ni aller à l’école, je laisse ces deux hommes pour garder la maison avec vous, ne chercher pas à leur désobéir, vous devez les nourrir aussi".

Je lui demande comment mes autorités seront informées de mon absence et lui explique que sans sortir il me sera difficile voire impossible de donner à manger à quiconque dans la maison. Je lui montre la demi-mesure de "gari" qui me reste dans la maison comme nourriture.

"Je me chargerai d’informer tes autorités, répond-il. Quant à la nourriture, il faut donner le reste du gari aux militaires prioritairement, tes enfants peuvent rester à jeun". Sur ce, il me quitte et l’autre lieutenant le suit (les deux soldats étant déjà partis avec les bagages).

Il est presque 9 heures, le calme revient dans la maison. Je me retrouve seule avec les enfants, la bonne, le répétiteur et les deux gardes. Le temps de la "détention" à domicile commence pour nous et les supplices moraux rivalisent avec les douleurs corporelles.

c) Détention à domicile et supplices vécus

Temps de détention : le lieutenant BABALAO, une fois parti, nous a "oubliés". Il n’a plus fait signe de vie. Les deux gardes étaient obligés d’aller voir leurs chefs immédiats au Camp Guézo pour se faire remplacer le soir. Nous sommes gardés du jeudi au lundi 4 novembre à 21 heures où des caporaux chefs ont pris sur eux la responsabilité de nous donner une liberté provisoire.

Les supplices moraux : avec la détention commence la période des peines, des soucis et des souffrances morales qui vont durer jusqu’à la libération des détenus.

Aussitôt après le départ des derniers, je commence à ressentir de vives douleurs partout dans le corps. J’ai mal à la tête, aux yeux, aux oreilles. Le corps me brûle et je suis fiévreuse. Fatiguée et désemparée, je m’étends dans le divan au salon. L’un des gardes (il parle le Fon) vient s’asseoir sur l’un des fauteuils et me dit "Madame tu as mal ?" je lui réponds que j’ai mal partout mais surtout aux oreilles. Il me propose de mettre quelques gouttes de parfum dans du coton et boucher mes oreilles avec. Ce que je fais, n’ayant plus d’autres produits appropriés. Cela me soulage et le sommeil me gagne.

Mais ai-je fermé les yeux que je les rouvre aussitôt. Un élève qui a confié son dossier d’inscription à mon mari est arrivé pour lui demander le résultat et le second garde qui est du Nord l’empêche de sortir. Je me lève donc pour aller le supplier avec l’autre avant qu’il ne laisse l’enfant repartir. Il promet ne plus laisser quiconque qui rentrerait dans la maison ressortir. Je me vois obligée de rester dehors pour courir ouvrir le portail à tous ceux qui sont arrivés et leur demander de retourner.

J’ai ainsi retourné la mère de Félicien, mes cousins Everiste et Toussain, le chauffeur Martin et les parents de la bonne. C’est tout une bagarre avec ce garde qui ne veut rien comprendre et qui tente chaque fois de m’empêcher d’aller ouvrir. Ces visites se sont succédées jusqu’à 13 heures.

Personne n’a encore rien pris dans la maison. Le garde Fon ayant pitié de moi et des enfants a fini par accepter accompagner la bonne faire des emplettes pour nous préparer à manger. Ce dernier a accepté la pâte qu’on lui a servie mais le second a refusé.

Après 18 heures 30, tous deux commencent par s’inquiéter du sort qu’on veut leur réserver. Ils commencent par se lamenter et dire que c’est ainsi qu’ils sont souvent oubliés après les "opérations", qu’ils n’ont pas un sou en poche, qu’ils revenaient à peine d’un autre front quand on les a embarqués dans la précipitation pour ici. Ils me demandent de leur passer ma mobylette pour qu’ils aillent au camp voir les chefs pour savoir s’ils peuvent partir et nous laisser libres.

Le Fon a pris la mobylette pour partir après que le répétiteur lui aie remis cent francs pour payer de l’essence. Il revient à 19 heures 30 accompagné par son chef (caporal chef) et deux autres soldats. Le chef m’explique qu’il ne peut pas me libérer sans l’ordre de celui qui m’a fait garder, qu’il va essayer de téléphoner à ce dernier à Parakou pour connaître son avis. Il emmène les premiers soldats qu’il remplace par les deux soldats. La bonne devait aller assister à une cérémonie le samedi soir, sa soeur lui a annoncé le jeudi la mort d’une tante dont l’enterrement est prévu pour le lundi. De même, il y a une messe de huitaine à célébrer pour un autre oncle défunt. J’ai supplié les militaires (les chefs) pour qu’ils l’autorisent à partir assister à ces cérémonies mais ils ont refusé.

Ceci a affecté son moral et elle refuse de manger toute la journée du dimanche et du lundi. Je suis abattue par ces faits et n’arrive plus à ordonner mes idées. Je me demande quand nous allons recouvrer notre liberté et ce qu’est devenu mon mari.

Le dimanche matin l’un des gardes, un jeune du de Batchou m’appelle et me dit : "Madame pourquoi tu fais tant de bruit avec nos chefs. Les grands qui vous ont fait garder ici sont déjà partis au Nord, ce sont eux seuls qui peuvent vous libérer, celui (le chef) qui est arrivé ici le jeudi soir a effectivement tout fait pour les toucher, mais le téléphone ne marche pas. Au lieu de crier chaque fois qu’il amène la relève et demander qu’ils vous emmènent en prison, tu feras mieux de chercher à voir ton mari". Je lui réponds que je ne sais là où il se trouve et que je ne peux pas sortir.

Il dit qu’il a appris comment les gens m’ont tabassée, que les militaires qui ont assisté à la scène en parlent au Camp et beaucoup d’entre eux en sont indignés. Que les premiers gardes ont témoigné que je les ai bien nourris et bien traités. Que lui-même vient de remarquer la même chose et que pour cela, il va m’aider à aller voir mon mari et lui apporter à manger.

Après m’avoir assuré qu’il est sincère dans sa déclaration (il m’a décrit mon mari) je cours à la cuisine apprêter le repas mais les douleurs et les maux m’empêchent de préparer moi-même ce repas. Quand tout est prêt le soldat m’accompagne au Camp voir Thomas, nous avons fait à peine 20 minutes de conversation quand le chef de poste l’oblige à me quitter. Le responsable de garnison, Batchou en le voyant lui demande celui qui l’a autorisé à me conduire au camp, je lui réponds que je suis venue apporter à manger à mon mari et qu’il m’a suivie comme cela se doit.

Cette première rencontre avec mon mari est aussi la dernière avant sa déportation au camp de Parakou.

Devant mes lamentations et mes menaces de sortir de force ou de m’accrocher avec tous mes enfants à leur camion pour les suivre, le chef (le caporal) qui s’est occupé de la relève des gardes le samedi soir a promis de prendre sur lui la responsabilité de nous libérer le lundi soir. Mais ce jour-là à 18 heures 30, à notre grande surprise, c’est un autre chef qui a accompagné deux autres gardes pour la relève. Déconcertés par cette attitude des chefs et dépassés par cette situation qui perdure, nous avons tous réagi et protesté vivement. Nous n’avions pas laissé le chef sortir de la maison quand il a décidé emmener les nouveaux gardes et promis de retourner au camp prendre contact avec le premier qui nous a fait la promesse. Il revient vers 21 heures nous apprendre qu’à partir de cet instant nous sommes mis en liberté provisoire.

La bonne et le répétiteur retournent aussitôt dans leur famille et je suis restée seule avec les enfants. Le lendemain matin, les enfants ont repris le chemin de l’école et moi celui du service et apprends que personne n’était informé de l’événement, je rédige alors un petit rapport que j’apporte au DP-TAS Atlantique et lui relate de vive voix les faits. Ce dernier a sursauté d’indignation quand j’ai fini de raconter et il me dit : "Et ils t’ont tapée jusqu’à laisser toutes ces traces et plaies sur le corps ? Ce n’est pas possible Antoinette. Il faut qu’ils soient punis ces militaires ! Et tu dis que tu ne connais pas leurs noms ? (Après un petit silence, il ajoute). Ce n’est pas grave, je vais rendre compte au Ministre et on verra ce qu’il faudra faire".

Il compatit à mes douleurs et me donne l’autorisation d’aller aux heures de visite voir mon mari, et de prendre le temps pour me soigner, quand je quitte le DP-TAS, je me rends au camp pour connaître les heures de visite mais on me dit que les visites sont interdites ce jour-là, quand j’y suis retournée le lendemain, le chef de poste m’apprend que mon mari n’est plus au camp. Il me dit d’aller m’informer à l’Etat Major sur là où il se trouve.

Les militaires, "bérets verts et rouges" que j’ai rencontrés là (à l’Etat Major) se sont moqués de moi en me disant que mon mari est allé enseigner à l’U.N.B. Après avoir passé toute la matinée à les supplier, j’allais retourner bredouille, s’il n’y avait pas parmi eux une femme qui a eu pitié de moi et m’a soufflé qu’il est déporté au Nord.

Dès lors, je me retrouve seule à faire face aux nombreux problèmes : la garde de la maison, l’entretien des enfants et d’autres parents en charge, la recherche des voies et moyens pour venir en aide au détenu et le faire libérer, la peur suscitée par la prise d’assaut de notre maison et les nombreux agents secrets qui rôdaient autour a longtemps empêché les parents et amis de nous visiter ou de nous aborder dans la rue ou sur les lieux publics.

J’ai dû mener une campagne de démystification en même temps qu’une lettre contre ces agents secrets pour que les parents et amis fassent montre de courage pour commencer à nous rendre visite à partir de décembre 1985.

DOSSOU Alexandre K.

Profession : Ingénieur du Génie civil
Né : 11 octobre 1954 à Porto Novo

Date d’arrestation : Samedi le 28 septembre 1985 aux environs de 23 heures 30 à mon domicile à Cotonou par le capitaine Patrice HOUNSOU alors lieutenant

Lieu de détention

28 et 29 septembre 85 : Camp Guézo à Cotonou

29 Septembre 85 -17 décembre 85 : Camp Séro Kpéra à Parakou

17 décembre 85 -11 janvier 86 : Prison Civile de Ségbana

11 janvier 86 - 25 Février 86 : Camp Séro Kpéra à Parakou

25 Février - 22 mars 86 : Prison civile de Ségbana

22 mars 86 - 8 mai 86 : Camp Séro Kpéra de Parakou

8 mai 86 - 11 juin 86 : Prison civile de Ségbana

11 juin 86 - 31 juillet 86 : Camp Séro Kpéra Parakou

31 juillet 86 - 6 décembre 86 : Prison civile de Ségbana

6 décembre 86 - 1er avril 1989 : Camp Séro Kpéra Parakou

date de libération : Samedi 1er avril 1989

Conditions de détention :

* Sérieusement déprimantes, les premiers mois à Parakou

* Simplement inhumaines dans la prison civile Ségbana

* Quelque peu supportables avec évolution en dents de scie par la suite à Parakou

Exemple : suite à une évasion en juillet 87 nous étions enfermés dans les cellules 22 heures 40 sur 24 heures, 57 jours d’affilée alors que nous avions déjà pu obtenir de rester en dehors des cellules de 7 heures à 19 heures. Les visites bien qu’ayant fini par être réglementées après plusieurs péripéties à Parakou, étaient bien souvent suspendues ou simplement remis en cause suivant l’humeur ou le bon vouloir du colonel ZINZINDOHOUE alors commandant de son chef de bureau de garnison, capitaine Idelphonse AGONKAN, alors lieutenant ou de celle du sous officier de permanence ou de semaine.

A Ségbana les visites n’étaient pas autorisées pendant les séjours que j’y ai faits.

Tortures subies

*morales : menaces très souvent chantées par le capitaine Alexis BABALAO alors lieutenant de passer devant le peloton d’exécution, menaces diverses, refus de visites.

* physiques :

1 - Le 14 octobre 1985, aux environs de 21 heures après une séance de confrontation avec deux autres détenus et en présence du commandant Clément ZINZINDOHOUE , du capitaine Fousseini GOMINA et du capitaine Patrice HOUNSOU, le commandant ZINZINDOHOUE, n’ayant pu obtenir les informations qu’il recherchait avait ordonné qu’on nous tape. Le capitaine HOUNSOU ne s’était pas embarrassé de scrupules pour lui-même. Les coups de poing au détenu Christophe MONSIA celui-ci en ouvrant la bouche n’a pu cracher que du sang. Il avait constaté aussi que deux de ces dents bougeaient. Le sergent Chef DJATO dit "l’homme pour l’homme" s’est jeté sur moi pour me taper avec une lanière (SOKPACA). Mes épaules et mon cou étaient zébrés. Après quoi, le commandant ZINZINDOHOUE ordonna qu’on m’accompagnât à ma cellule ramasser mes bagages, les porter sur la tête moi-même vêtu uniquement d’un slip pour venir m’asseoir à même le sol avec mes bagages au milieu de la cour en face du poste de commandement du camp jusqu’à ce que son chef de garnison, le lieutenant AGONKAN qu’il a envoyé chercher la nuit-là, vienne me trouver une autre cellule au poste de police.

2 - Le 15 octobre 1985 un peu avant 7 heures le matin, j’étais appelé pour me présenter au poste de commandement ensemble avec un autre détenu du nom de Adolphe KOULIDJI. Un troisième nous a rejoints du nom de Mohamed ALASSANE et tous trois nous avons été conduits sur le terrain de football du camp et en présence du commandant ZINZINDOHOUE et sur son ordre une multitude de soldats s’est abattue sur nous sous la direction de l’adjudant ZATO du Génie Militaire. Il est difficile d’apprécier combien ils étaient. Tous les désoeuvrés et autres qui traînent dans la cour du camp se lancent simplement à l’assaut des criminels que nous étions. Chacun armé comme il peut : branchages et branches de neems et d’acacia, lanière (SOKPACA) bouts de bois, câbles et autres étaient de la partie. Nous étions sommés de nous déshabiller pour ne laisser sur le corps qu’une culotte ou un pantalon retroussé jusqu’aux genoux ou au cas où le pantalon ne se retroussait pas comme c’était le cas chez Mohamed, il avait reçu ordre de se mettre en slip. Ainsi vêtu, nous devrions ramper et rouler à même le sol pendant que les soldats tapaient à coeur joie. La séance se poursuit jusqu’à ce que le commandant ZINZINDOHOUE, toujours debout à suivre toute la scène donne l’ordre d’arrêter. On nous a conduit à coups de bâton, malgré l’ordre d’arrêter, du terrain au poste de commandement. Là moi je retrouve mes sens. Mais la séance n’était pas finie. Il nous fallait pour accéder au poste de commandement traverser le jardin du poste. L’ordre était donné de la traverser en marchant à genoux sur les briques servant de bordures au jardin les bras en croix et le bâton derrière. Dès qu’un genou tombait des briques, les coups de bâton ramenaient rapidement à l’ordre, cette épreuve avait pour conséquences de vous arracher la peau et chair aux genoux.

Au poste de commandement, le commandant ZINZINDOHOUE nous avait fait accueillir avec des feuilles de papier, un bic et une table pour écrire ce que nous avions dans la tête. J’étais si affaibli, je n’avais rien mangé depuis la veille au soir (ayant été privé de dîner la veille pour nécessité de la séance de confrontation) que j’avais dû m’allonger sur le carreau à même le sol pendant un temps qu’il m’a été difficile d’estimer peut-être une heure avant de pouvoir, le corps tout en sang, me tenir debout et m’asseoir à la table qui m’avait été présentée pour écrire.

3 - Vers la fin octobre 1985 alors que nous sarclions souvent tout autour des cellules et que nous balayions directement avec les mains nues, j’avais eu des ampoules dans la paume de la main droite.

Ces ampoules, comme je devais continuer à sarcler, ont éclaté et se sont infectées. Ma main droite était inutilisable parce que gonflée de sang noir et m’empêchait de dormir la nuit du fait des douleurs. Après plusieurs séances de bains humides à l’alcool et à l’eau permaganentée, le Major de l’infirmerie de cette garnison avait fini par m’inciser le pouce et l’index le 4 novembre 1985 pour extraire le sang noir mélangé au pus. Les médicaments pour les traitements (anti-inflammatoires, antibiotiques, sérum antitétanique, bandes, alcool et autre) étaient à mes propres frais.

Revendications succinctes

 Remboursement des salaires non perçus de novembre 1985 à septembre 1989

 Remboursement des frais approximatifs des médicaments durant tout mon séjour au camp

 Dédommagement pour tortures subies

 Dédommagements pour tracasseries policières imposées à ma grande soeur et à mon grand frère qui, en plus, ont dû faire plusieurs séjours au camp Séro Kpéra de Parakou à cause de moi

 Dédommagement pour divers frais occasionnés à mon épouse pour les va et vient au camp et les voyages Cotonou-Parakou

 Dédommagement pour pertes constatées après perquisitions et retrait de certains de mes bagages

 Jugement des tortionnaires.

Cotonou, le 16 avril 1990

www.24haubenin.bj ; L'information en temps réel

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